lundi 17 août 2020

Celan, repassé par le présent de Heidegger

Hans-Peter Kunisch, Todtnauberg. Die Geschichte von Paul Celan, Martin Heidegger und ihrer unmöglichen Begegnung, dtv Verlagsgesellschaft, München, 2020, 350 p. 

L'ouvrage comprend une bibliogaphie classée (Literaturverzeichnis) et un Index nominum (Register).

L'auteur est un journaliste suisse, né en 1962 ; Docteur en philosophie, il décrit l'évolution et le parcours de Paul Celan qui chercha à rencontrer Martin Heidegger. Rencontre pourtant difficile que celle que tente Paul Celan, dont les parents, parce que juifs, ont été assassinés par les nazis dans un camp de concentration. Paul Celan veut rencontrer Martin Heidegger, qui a participé dès 1933 au pouvoir des nazis en Allemagne. Martin Heidegger, lui, n'a d'ailleurs jamais remis en question sa propre participation au pouvoir nazi alors que, Professeur, il fut nommé, par les nazis, Recteur de l'Université de Freiburg, et ce, dès la prise du pouvoir par les nazis, en 1933. Martin Heidegger fut également membre du parti nazi (NDSAP) de 1933 à 1945. Son directeur de thèse, Edmund Husserl, était juif et sera donc exclu de l'université allemande par l'administration nazie et sera "oublié" alors par Martin Heidegger qui lui avait pourtant quelques années auparavant, en 1927, dédicacé sa thèse. On peut raconter l'histoire bien plus longuement et interpréter plus finement telle ou telle déclaration fumeuse et emberlificotée du philosophe : les faits sont faits, et têtus. Et ils sont a priori impardonnables. Emmanuel Lévinas qui fut, très jeune, un lecteur et un  auditeur attentif du Heidegger de Sein und Zeit, n'a jamais pardonné, quand tant d'autres, et non des moindres, ont tenté de comprendre, entre autres Hannah Arendt, amante de Martin Heidegger, Karl Jaspers, Karl Löwith, Herbert Marcuse, Hans-Georg Gadamer, et ont, diversement, contribué à la gloire posthume de Martin Heidegger.

Qu'allait donc faire Paul Celan, le poète, dans cette histoire ? Tel est l'objet de cet ouvrage qui reprend la question depuis les débuts qui mènent à la rencontre de Paul Celan et Martin Heidegger. Paul Celan espérait que Martin Heidegger dirait quelques phrases de regrets sur l'extermination des juifs, par les nazis et leurs collaborateurs. Phrases qu'il n'aura, semble-t-il, pas obtenues. 

Le lecteur suit la vie de Paul Celan, et un peu aussi celle de Heidegger. On les suit entre autres dans le voyage à Todnauberg, village en Forêt Noire, où Heidegger possède une petite maison en bois ("eine Hütte", une sorte de chalet) que lui fit construire pour lui son épouse, en 1922. Paul Celan donnera une soirée de lectures à l'Université de Freiburg où il lira "Die Todesfuge"... Dans le livre des visiteurs ("das Hüttenbuch"), Paul Celan écrivit, au terme de sa visite : "Ins Hüttenbuch, mit dem Blick auf den Brunnenstern, mit einer Hoffnung auf ein kommendes Wort im Herzen. Am 25. Juli 1967" (mot à mot : "dans le livre du chalet, avec un regard sur l'étoile de la fontaine, avec l'espoir d'une parole à venir dans le coeur". Parole de regret qui ne viendra jamais...

Cette histoire s'achève par le suicide Paul Celan qui se jette dans la Seine, du pont Mirabeau. Mais auparavant, l'auteur conduit ses lecteurs par les amours de Paul Celan, Ingeborg Bachman d'abord qui rédigea une dissertation sur Heidegger (1949), et pour finir, par son séjour à Tel Aviv avec Liane Schindler. Ainsi va l'ouvrage, mêlant à des moments de vie de Paul Celan, des vers extraits de ses poèmes, comme des preuves, des témoignages. En refermant le livre, le lecteur est mal à l'aise...

Pour celles et ceux qui veulent approfondir la question, la bibliographie donnée par l'auteur est importante. J'y ajouterai néanmoins trois ouvrages. L'un, fondamental, sur les Cahiers noirs de Heidegger, l'autre, sociologique, de Pierre Bourdieu qui dénonçait déjà les supercheries heideggeriennes, il y a plus de quarante années, et finalement celui, méticuleux, de Hadrien France-Lanord.

- Nicolas Weill, Heidegger et les Cahiers noirs. Mystique du ressentiment, Paris, 2018, CNRS Editions, 208 p, Index.

- Pierre Bourdieu, L'ontologie politique de martin heidegger, Paris, Editions de Minuit, 1988, Index. 125 p.  Cet ouvrage reprend et développe les éléments d'une publication de 1975 dans Actes de la recherche en sciences sociales.

- Hadrien France-Lanord, Paul Celan et Martin Heidegger. Le sens d'un dialogue, Paris, Fayard, 313 p., 2004, Index des noms, Documents.

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