Cahiers de conversation de Beethoven 1819-1827, Paris, Buchet Chastel, 2015, Traduction et présentation par Jacques-Gabriel Prud'homme. Edition révisée par Nathalie Krafft, chronologie, index des œuvres par genre et numéro d'opus, index des noms cités, 446 p.
Pendant les neuf dernières années de sa vie Beethoven était atteint de surdité. Cette période est celle de la IXème symphonie, de la Missa Solemnis, des cinq derniers quatuors à cordes, des dernières sonates pour piano (opus109-111), des Variations Diabelli ... Pour la première exécution de la IXème symphonie (7 mai 1824), Beethoven n'entend rien : calé sur les archets des violons, il tourne les pages de sa partition un peu en retard ; il n'entendra pas les acclamation du public.
Ce handicap l'oblige à ruser. Pour discuter, Ludwig van Beethoven recourt à des cahiers (18 x 12 cm) où ses interlocuteurs écrivent leurs réponses, leurs questions, leurs remarques. L'intervention de Beethoven est orale, dans presque tous les cas : nous ne disposons donc que de la moitié des conversations. Lorsque, au lieu de ses cahiers, Beethoven recourt à une ardoise, nous n'avons évidemment aucune trace des conversations. Beethoven se servait aussi parfois de ces cahiers pour prendre des notes, comme pense-bête ou lorsque, en public, il craignait de parler trop fort.
Etrange textes. Ces Cahiers constituent des documents rares, exceptionnels, d'une grande valeur historique mais aussi philosophique. Ils en disent beaucoup de la vie et des soucis quotidiens intimes de Beethoven, qu'il faut confronter - ou mêler - au travail et à la création artistiques. De plus, les Cahiers présentent un indéniable intérêt linguistique : quelle est la langue orale de cette époque, l'oral relâché que l'on peut comparer à l'écrit des mêmes locuteurs. Hélas, il n'y a pas, à ma connaissance, d'analyse linguistique et communicationnelle de cet oral-écrit, semi-dialogue qui est une formation langagière à part, un écrit différent de l'oral rapporté des biographies et de la correspondance de l'époque (Goethe, Schiller...). Des analyses recourant au NLP (Natural Language Processing) seraient sans doute éclairantes.
Les 139 cahiers ont été publiés en allemand (Konversationshefte, Deutscher Verlag für Musik) en dix volumes, entre 1968 et 2001. Ces cahiers furent caviardés par Anton Schindler, secrétaire de Beethoven et premier éditeur, sans doute pour en faire monter le prix de vente des Cahiers et se mettre en avant (comme fut caviardée une partie de l'œuvre de Friedrich Nietzsche par sa sœur).