dimanche 12 octobre 2014

Crowdsourcing, pour une théorie pratique des ensembles sociaux ?


Daren C. Brabham, Crowdsourcing, 2013, Cambridge, MIT Press, 238 p., Bibliogr, Index.

Le crowdsourcing est une des manifestations fondatrices du paradigme numérique dans le domaine de la publicité et des médias. Pourtant, cette notion apparue au début des années 2000, avec l'essor du Web, demeure floue, confuse : un mot passe-partout, à la mode (buzzword), mobilisé pour évoquer des pratiques en apparence hétérogènes. Incommode à traduire donc...
L'ouvrage commence par une tentative de définition ; l'exercice est formel et arbitraire, peu convaincant. Puis, l'auteur, qui enseigne dans une école de journalisme, poursuit par la relation de diverses tentatives typologiques ; enfin, il aborde l'analyse des problèmes actuels (juridiques, éthiques notamment) et effleure l'avenir possible du crowdsourcing.

Le crowdsourcing, c'est extraire (voler ? faire faire par les autres ?) des idées au sein d'importants ensembles sociaux non structurés et anonymes : "crowd", nom (verbe aussi) traduit en français par "foule", "multitude" (avec des connotations spinozistes rarement comprises), voire "masse". D'où le mot valise "crowdsourcing", comme "outsourcing". Retenons surtout l'idée de puiser dans une large population, de faire appel à des "communautés" en ligne. Du nombre, source multiple et dispersée, le crowdsourcing fait "surgir" des idées neuves (cf. l'étymologie de "source", le verbe latin surgere = surgir) ; selon quelle dynamique de groupes, quel processus mystérieux, quelle alchimie sociale s'effectue ce jaillissement ? Une approche plus technique, mathématique l'aurait peut-etre éclairé.

Le voisinage notionnel de crowdsourcing est multiple et riche mais, dans tous les cas, on peut le réduire à une structure de place de marché où se rencontrent offres et demandes. Internet et son organisation technique en réseau facilitent cette rencontre et permettent de mobiliser rapidement des ensembles très larges de demandes et d'offres.
Source : xkcd
On peut rapprocher le crowdsourcing de la notion d'amateurs professionnels (pro-ams), de celle de "distributed problem-solving" (coopération en ligne : traduction, création publicitaire, algorithme, etc.) ; pour d'autres, cette notion évoquera la ligne de masse théorisée par la pratique politique "révolutionnaire"(cf. Mao Zedong, "À propos des méthodes de direction", 1er juin 1943). Toujours est supposée, tacitement ou non, la "sagesse des foules", la transcendance du peuple, du nombre, de la diversité aussi : d'où le rôle confié à l'enquête pour conquérir et vérifier le savoir disséminé (sous forme de data, d'"intelligence collective"). Ce que proclame le titre emblématique de l'ouvrage du journaliste James Surowiecki, "The Wisdom of Crowds: Why the Many Are Smarter Than the Few" (2004).

A titre d'exemples, l'auteur évoque InnoCentive, place de marché de problèmes et de solutions ("Want to mobilize a world of on-demand talent?"), Mechanical Turk (Amazon), place de marché pour des travaux de toutes sortes ("Marketplace for work"), microtasking, comme Gigwalk pour le marketing.
On peut aussi évoquer des entreprises commeWattpad (storytelling), le crowdsourcing du marketing littéraire avec Write On ou kindlescout qui, avec Amazon, soumettent les livres à la critique pour les rendre vendables ("stories need you", "reader-powered publishing"). Crowdsourcing pour un journalisme citoyen, pour la résistance politique et l'assistance aux victimes (Ushahidi, du mot swahili pour témoin), crowdsourcing pour le suivi des tremblements de terre ("Did you feel it"), de la circulation urbaine (Waze), pour le design (Wilogo), pour le marché de l'emploi (Witmart / Zhubazie / 猪八戒), la cartographie (Apple Maps Connect) ou la création de T-shirts (Threadless)... mais surtout les entreprises comme Patients Like Me ou CrowdMed sur la santé et la maladie.
Le crowdfunding, sorte de "financement participatif", relève d'une logique semblable (IndigogoKickstarter, SeedInvest) : en appeler au nombre pour financer des innovations (exemple : la montre Pebble). Cette pratique constitue une innovation dans l'économie de l'innovation (sur ce point, voir "Handbook for a new era of crowdfunding").

La proximité du crowdsourcing avec la data et ses outils d'exploitation est peu abordée dans l'ouvrage. C'est dommage d'autant que le crowdsourcing ne semble guère séparable du mécanisme des enchères et du temps réel, donc des fondements de l'économie numérique.
Les exemples évoqués semblent trop peu nombreux pour donner une idée claire de la diversité des situations et de l'évolution des modèles. Enfin, on attendrait plus sur la place des réseaux sociaux et du community management. Bibliographie efficace. Le livre répond assurément à des attentes techniques et théoriques mais il reste encore du travail...

1 commentaire:

  1. J’aimerais insister sur le rôle devenu maintenant incontournable du crowdsourcing pour toutes les entreprises ou les marques qui cherchent à innover. Avec le crowdsourcing, les réseaux sociaux (Twitter, Facebook...) deviennent pour les entreprises de véritables laboratoires d’idées dans lesquels elles peuvent aller puiser des avis, commentaires ou de nouvelles idées. Pour générer de l’intelligence collective, il leur suffit désormais de stimuler leur communauté avec des questions simples: « Quelle saveur préférez-vous pour nos prochains biscuits ? », « Que pensez-vous de notre nouveau packaging ? »...et un flot d’idées suivra.

    Outre les réseaux sociaux, certaines marques comme Starbuck en viennent même à créer de véritables plateformes collaboratives dédiées aux consommateurs. « My Starbuck idea » est ce qu’on pourrait appeler un incubateur d’idées sur lequel la marque donne la possibilité aux consommateurs de faire des propositions sur de nouveaux produits, de nouveaux services ou d’autres innovations qu’ils aimeraient voir se réaliser. Son positionnement est simple « Qui mieux que vous sait ce que vous attendez de Starbuck ? » et est déclinable pour toutes les marques ou entreprises qui utilisent le principe du crowdsourcing. En s’adressant et en sollicitant directement le consommateurs, ce phénomène modifie en effet la relation entre les consommateurs et les marques. Avec ces dernières, les futurs acheteurs vont co-créer, ils deviennent ce qu’on appelle désormais des « consommacteurs » puisqu’ils participent activement au développement des produits.

    Dès lors, le sentiment de satisfaction qui va naître de cet engagement fort et de cette nouvelle proximité assure à la marque une importante fidélisation et des retombées commerciales assurées puisque cette prise d’idée à la source valide d’une certaine manière le marché, en amont même de la production.

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