vendredi 15 juin 2012

Désordres numériques : psychopathologies de la vie médiatique quotidienne

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Larry Rosen, iDisorder. Understanding our obsession with technology and overcoming its hold on us, Palgrave Mcmillan, 256 p., Index, 16,5 $ (11,99 $ en version électronique),

L'auteur exploite un filon connu et riche : les technologies numériques menacent notre santé mentale. Que faire ? Diagnostic, étiologie, remèdes. C'est un livre de conseils qui expose les manières d'échapper aux psychopathologies développées par les médias numériques. Que de désordres ("psychiatric disorders") nous menacent, la liste est effrayante : addiction, obsessions, schizophrénie, hallucinations, phobie sociale, narcissisme, autisme,  dépression, voyeurisme, compulsion, "attention-deficit hyperactivity disorder" (ADHD), hypochondrie, et j'en passe. L'auteur qui a déjà écrit contre le "technostress",  prétend aider à vivre mieux avec les technologies de communication, indique les précautions à prendre pour ne pas tomber malade des technologies numériques. Une sorte de prophylaxie mentale.
Drogués à la technologie ("Getting high on technology"), accrocs aux réseaux sociaux, au portable, adeptes du multiscreentaskingles utilisateurs doivent être soignés d'urgence et mis à la diète technologique. Il y a du Molière dans ces médecins du désordre médiatique : "Clysterium donare, postea saignare, ensuita purgare" !
L'ouvrage prend, un à un, les "désordres" nés des médias numériques, mobilise des statistiques et des avis de spécialistes, psychologues, neurologues, etc. Invitation à l'auto-analyse : "My job is to help you recognize the signs and symptoms of your own iDisorder and take simple, straightforward steps toward controlling your world before it controls you".

Les cas évoqués sont parfois drôles tant ils sont extrêmes : assurément, certains tableaux cliniques sont navrants. Toutefois, parmi les comportements dénoncés, nombreux relèvent du bon sens, de la politesse et du savoir-vivre élémentaire ; ceux qui téléphonent dans les lieux publics et tonitruent à la cantonade la pauvreté de leur vie et de leur vocabulaire, ceux qui consultent leur courrier à table ou au lit, ceux qui envoient des textos en voiture... Goujaterie courante, parfois criminelle.

Pour trouver sa pertinence, cet ouvrage doit être retourné : les symptômes qu'il épingle devraient renvoyer aux "malaises" dans notre civilisation, et pas à la technologie. Les technologies ne sont jamais pathogènes en soi ; en revanche, des situations de misère personelle, matérielle ou psychologique, peuvent conduire à des usages ridicules et parfois dangereux de ces technologies, usages qui sont comme des "actes manqués". Tous les médias ont été accusés, à toutes les époques, de rendre malade : les romans (Madame Bovary sera interdit à la vente dans les gares), le cinéma, la presse, les romans-photos, la radio, les jeux vidéo, la télévision, etc. Internet ne déroge pas et l'on n'a pas manqué, déjà, de dénoncer Google qui rendrait stupide, les réseaux sociaux qui empêcheraient le travail scolaire, le smartphone, les écrans... Et ce n'est pas tout : il y a aussi la cyberchondria, anxiété provoquée par la consultation de sites médicaux, et bien d'autres telle cette explication génétique trouvée récemment à l'addiction à Internet...

Cette littérature demanderait elle-même un diagnostic : il y a un marché pour ces lamentations de maîtres-penseurs, souvent condescendantes et moralisatrices. Cette médicalisation trahit une volonté tacite d'évacuer de l'étiologie toute cause économique et sociale, donc politique, et de faire d'une misère de la vise sociale une "maladie de la volonté", comme l'on disait au début du XXe siècle (T. Ribot, 1909). On pourrait d'ailleurs rappeler le mot de Flaubert dans le Dictionnaire des idées reçues : "Nerveux. Se dit à chaque fois qu'on ne comprend rien à une maladie, cette explication satisfait l'auditeur."
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3 commentaires:

  1. Il est vrai qu'Internet et la technologie occupent une place de plus en plus importante dans notre vie de tous les jours. Ce changement de communication semble avoir été adopté très rapidement. En effet, selon l'Insee, "les utilisateurs d'internet sont passés de 150 000 en 1995 à 26 millions en 2005 en France. Le nombre d'abonnés a quadruplé entre début 2000 (3,1 millions) et fin 2005 (13,1 millions)." Malgré cela, une minorité grandissante de gens s'opposent à ces nouvelles technologies (cf. article très intéressant : http://huguesrey.wordpress.com/2012/09/18/la-france-compte-183-de-deconnectes-web-tech/).
    @VeroCormierChet

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  2. À mon avis, dr. Rosen exagère avec ces maladies. Il dit que c’est souvent à cause des nouveaux médias que les maladies se déclarent. Bien qu’il ne les accuse pas d’être seules coupables, je pense qu’il accuse les médias injustement d’être une technologie dangereuse.
    Les gens ont toujours peur des changements dans leurs vies et les médias sont faciles à accuser. Je peux aussi imaginer que quand la télévision est apparue, il y a eu certaines personnes qui ont eu peur que ça change le monde et que tous soit ensuite pire. Mais voilà, 50 ans après, l’humanité existe encore. Je comprends, que quelques individus refusent d’utiliser les nouvelles technologies, mais tôt ou tard, ils devront accepter le fait, que ce soit une nouvelle manière de vivre. Ou bien sûr on peut vivre comme les gens Amish aux Etats Unis et refuser toutes les nouvelles technologies. Personnellement je pense qu’il faut juste apprendre à se comporter avec les nouvelles possibilités technologiques, mais ça vient automatiquement avec le temps.

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  3. De nos jours, on ne trouvera presque aucun domaine dans notre société, sur lequel n'a pas été écrit quelque chose. Sur N’IMPORTE QUELLE thématique existent pleins de sites web, de livres ou d'inscription dans des forums. Suivrant cette logique, c’était juste une question du temps que des oeuvrages sur les „nouvelles maladies dû au technologies“ apparaissaient.
    Bien souvent je m’ai déjà rendue compte quelle vaste palette de thématiques (les un plus, les autres moins d’importance) existe dans le web ou bien quel grand nombre de livres existent dans le monde entier, écrit par innombrable auteurs pendant des siècles.
    Je trouve que d’un côté, c’est à la société de décider à quel point ces thématiques doivent être évoquées et d’un autre côté c’est pas mal d’avoir un vaste choix de thématiques toutes différentes auxquelles on peut récourir à un certain moment de besoin.

    Dans le cas du livre de Larry Rosen je réussis à suivre l’intention de l’auteur: Les nouvelles technologies font partie de notre vie, les conséquences de leur consommation sont bien connues et peuvent être observées n’importe où. Plus simplement dit: Qu’un problème existe, n’est plus contestable et il faut réagir!
    Désormais, ce qui est contestable est le choix du bouc émissaire (ici: les technologies). Il faut quand même garder un esprit critique et se demander si l’origine de ces soi-disantes maladies se retrouve vraiment chez les technologies „si méchantes“ ou bien chez les activités de consommation mal appliquées par les être-humains!
    Comme évoqué dans l’article, la question restera donc toujours: Est-ce qu’on a vraiment besoin d’un livre qui me dit comment je peut guérir ma maladie dû à ma consommation exagérée de Facebook par exemple où est-ce qu’on devra d’abord se concetrer sur l’élimination des malaises dans la société qui sont au fond de cette „maladie“?

    Bien sûr c’est plus simple à rejeter le problème à un mouvement technologique qu’à admettre les erreurs de l’humanité....

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