samedi 18 février 2012

De Patrick Modiano à Emile Zola, Timeline et Open Graph

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Peut-on lire, relire, Rue des Boutiques Obscures de Patrick Modiano (1978) comme si l'on y démêlait les trames d'un réseau social ? Peut-on formaliser les liens, les noeuds entre les personnages, désembrouiller leurs vies, les "eaux mêlées" ?
Le roman apparaît comme celui d'un espace hodologique tissé de rues, de chambres, de carrefours, de cafés et de bars dans lequel se déplace un narrateur infatigable. Facebook aujourd'hui l'organiserait en Open Graph.
L'enquête semble aussi une quête de soi, une lutte contre l'oubli. Le lecteur est comme dans un jeu vidéo avec ses soluces et des informateurs tels des "amis", personnages non-joueurs (non-playing character, NPC), pions de ce vaste échiquier qui distillent des pistes, donnent des indices. Les annuaires aussi, ces génies tutélaires du narrateur, trônant sur leurs étagères, distribuent des informations tout comme les services de renseignements et les administrations dont les fiches peuvent devenir criminelles. Toute la mémoire du Web dans quelques années.

"Itinéraires qui se croisent, parmi ceux que suivent des milliers et des milliers de gens à travers Paris, comme mille et mille petites boules d'un gigantesque billiard électrique, qui se cognent parfois l'une à l'autre", écrit Patrick Modiano. On dirait la vie d'un réseau social, sa combinatoire observée de l'extérieur, avec l'impression de circuler dans des ruines et d'y chercher des traces.
Les romans de Patrick Modiano se lisent comme des timelines parcourues à rebours par un narrateur détective. Dora Bruder, par exemple : Patrick Modiano y rapproche le chemin suivi par son héroïne en fuite de celui emprunté, dans Paris, par Jean Valjean et Cosette, traqués par Javert (Les Misérables). Homologie de structures, concordance des temps.

La littérature en dit plus long, décidément, et mieux, parfois, que certains savants travaux. Le romancier est sans le savoir énonciateur d'algorithmes sociaux (cf. L'homme des foules). Ainsi, Emile Zola déclare-t-il, dans la Préface de La Fortune des Rougons, vouloir trouver et suivre "le fil qui conduit mathématiquement d'un homme à un autre homme" (1871). "Et quand je tiendrai tous les fils, quand j'aurai entre les mains tout un groupe social, je ferai voir ce groupe à l'œuvre comme acteur d'une époque historique, je le créerai agissant dans la complexité de ses efforts, j'analyserai à la fois la somme de volonté de chacun de ses membres et la poussée générale de l'ensemble".

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1 commentaire:

  1. Lorsque l'on lit les Rougon-Macquart, l'on se rend aussi compte que les maux que l'on dit être de notre époque: indifférence à l'autre, individualisation, relations sociales artificielles et superficielles existaient déjà sous le second empire, et sûrement depuis assez longtemps. Eugène Rougon le ministre ne sait pas (ou ne cherche pas à savoir) que sa cousine Gervaise Macquart meurt d'alcolisme dans la pauvreté la plus crue, à l'instar du nombre d'amis sur Facebook qui ne prévient pas contre la solitude. L'éternelle toile des liens sociaux est un fil qui conduit mathématiquement d'un homme à un autre homme sans qu'une relation plus profonde se tisse entre eux.

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