Arlette Farge, Dire et mal dire. L'opinion publique au XVIIIe siècle, 1992, Paris, Seuil, 314 p.
Ouvrage d'historienne, publié il y a une vingtaine d'années, portant sur la communication au XVIIIe siècle. Travail important pour les spécialistes des médias. Parce que l'analyse d'Arlette Farge donne à voir toutes les formes de communication de cette époque, leurs interactions et leur contribution à l'information de la population, à celle du pouvoir royal et à ce qu'il est convenu d'appeler opinion publique. Mais aussi parce que cet ouvrage traite de la communication au sein de populations pauvres, méprisées, voire ignorées par la France bourgeoise et plus encore par la France de l'aristocratie et de la Cour. L'auteur parcourt des territoires de communication laissés de côté par Habermas qui s'en tient essentiellement à l'espace public bourgeois et noble des Lumières. En cela, Arlette Farge rééquilibre l'histoire de la communication. Analyse fine de l'opinion publique : mobile, nomade, fluide, hyper-locale. L'auteur rappelle que ce public pauvre n'est pas si crédule qu'aiment à l'imaginer les politiques et autres maîtres à penser. Un espace public populaire se constitue, constamment espionné, réprimé, méprisé, revendiquant le droit de dire la chose publique. Ce livre constitue une réflexion stimulante sur la communication politique ; sa modernité est inattendue : "Le savoir sur la chose publique commence par le savoir sur autrui, celui que la cité et sa configuration obligent chacun à détenir" (p. 289).
L'histoire, quand elle est aussi clairement analysée et exposée, désenclave notre compréhension générale de la communication souvent confisquée par les médias industriels et commerciaux des XIX et XXe siècles (radio, presse, télévision, affichage grand format). On oublie trop aisément que ces "grand médias"ne représentent qu'une part restreinte de la communication, la plus commode à étudier aussi parce qu'elle produit beaucoup d'information chiffrée, économique notamment. Les médias sont récents (deux siècles), la communication, non. Il faut attendre les réseaux sociaux et leur exploitation commerciale pour que soient mises en chantier des analyses quantitatives des conversations et de la circulation des opinions. Inversement, ce travail permet d'enclencher une observation sans condescendance de la culture people et de sa contribution à la formation de l'opinion politique : moeurs des puissants, "affaires", statut de la vie privée des personnages publics, rôle de 'l'intelligence satirique".
Arlette Farge traite des différentes formes d'information qui alimentent et "forment" l'opinion publique populaire. C'est cet aspect de l'ouvrage que nous retenons.
- Les "gazetins de police", rapports rédigés par des sortes d'indics et condés, surnommés des "mouches" (cf. mouchard).
- Les "nouvelles à la main", feuilles volantes manuscrites auxquelles on peut s'abonner (trois numéros par semaine) ; faisant l'objet d'autorisations, elles sont épluchées méticuleusement par la police. Les informations qu'elles charrient proviennent de l'étranger, des domestiques, du recueil des bruits qui courent (on parle de "nouvelles à la bouche").
- Les affiches et placards collés sur les murs. Culture orale, malgré tout : on y écrit comme l'on parle. Le nouvelliste recherche les scoops, valorise les délais de diffusion : aux "liseurs de gazettes", selon le mot de Louis-Sébastien Mercier, de se débrouiller comme ils peuvent avec ce mélange de vérité et de vraisemblable, d'anecdotes, de faits divers et de satires.
- Les Nouvelles ecclésiastiques (1728), auto-éditées, militantes, organe du parti janséniste , elles font connaître l'oppression dont les prêtres soupçonnés de jansénisme sont victimes et vulgarisent le débat théologique.
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