Molière, Oeuvres complètes, Gallimard, 2010, 130 €
Tome 1, 1600 pages, chronologie 1594-1668
Tome 2, 1758 pages, chronologie 1668-1819
Gallimard a publié une édition nouvelle des oeuvres de Molière dans la collection de La Pléiade (2 tomes, avec une introduction de Georges Forestier). En même temps, paraît l'Album Molière chez le même éditeur.
Cette édition savante et luxueuse s'accompagne d'un site Internet, Molière 21. L'ensemble vise l'optimisation de la publication, l'organisation des complémentarités papier / numérique, texte / iconographie. Edition mixte, parfaitement coordonnée : cinq ans de travail pour deux professeurs de Paris IV, Georges Forestier et Claude Bourqui, et une subvention de l'ANR (Agence Nationale de la Recherche).
Le site comprend :
- une base de données intertextuelles permettant de replacer le texte de Molière dans son contexte, dans son temps, ses discussions, ses allusions, sa langue. L'explication du texte de Molière en sera désormais plus aisée, plus précise, plus certaine. De plus, des renvois sont effectués vers le site tout Molière qui présente les oeuvres complètes.
- un outil de visualisation des variantes textuelles traitant de trois pièces (Dom Juan, L'Ecole des maris, Le Malade imaginaire).
- un ensemble documentaire sur la réception des oeuvres de Molière par la presse, les "gazetiers" de l'époque 1659-1674 (compte-rendus).
Cette révolution éditoriale qu'illustre ce remarquable travail touchera les enseignants, les chercheurs, historiens et linguistes, les acteurs, les metteurs en scène...tous les amateurs et les professionnels de Molière.
A terme, toutes les oeuvres classiques devront sur cette opération de modernisation. Elles y gagneront en commodité, en rigueur, en clarté. Cette évolution ne manquera pas d'entraîner dans son sillage les outils didactiques. Qui sait ? Elle pourrait même provoquer un début de changement dans des pratiques scolaires qu'aucune "réforme" n'atteint jamais.
Cette nouvelle édition a pour effet de décaper la perception de Molière dont la réception en France a été biaisée par une accumulation de lectures, scolaires notamment, voulant à tout prix "républicaniser" Molière et en faire un auteur populaire. De ce travail ressort au contraire un Molière mondain, parfaitement en phase avec l'aristocratie de son temps, avec ses goûts et surtout avec ses dégoûts, en un mot, avec sa culture. Grâce à cette édition, on saisit un Molière gestionnaire, attentif à son public, montant pragmatiquement ses spectacles avec ballets, musique, etc. Un Molière entrepreneur que la littérature avait "oublié", un Molière servant la classe qui l'a aussi très bien servi. Et reconnaître cela n'affecte en rien la reconnaissance de tous les talents de Molière et de leur efficacité au-delà de son siècle et, relativement, au-delà de la classe qui l'a mis sur le devant de la scène.
Subsiste, comme le remarquait Marx à propos de l'art et de l'épopée grecs, la difficulté de comprendre que le plaisir du texte et de la scène de Molière dure encore et apparaisse même, aujourd'hui encore, comme un modèle inaccessible ("unerreichbare Muster"). Difficulté de comprendre qui affirme les limites de l'analyse qui lie mécaniquement une oeuvre et la formation sociale où elle est apparue.
Références
Karl Marx, Einleitung zur Kritik der Politische Ökonomie, 1857, (Introduction à la critique de l'économie politique).
Florence Dupont, "Molière : quand l'érudition sert une subversion subtile", in Agenda de la pensée contemporaine, N°19, hiver 2010.