Vladimir Maïakovski, Du monde j'ai fait le tour. Poèmes et proses, Paris, Les Belles Lettres, 2024, 402 p., Textes présentés et traduits du russe par Claude Frioux, Repères (les noms de l'époque), Bibliogr.
"Je suis poète et par là intéressant". C'est lui qui l'affirme, alors croyons le sur parole, pour voir. Maïakovski voyage donc, et ce sont ses voyages que raconte et met en scène Claude Frioux, spécialiste éminent du poète : en effet c'est à lui que l'on doit l'édition bilingue en quatre tomes des Poèmes de Maïakovski, aux éditions Messidor (Paris, 1984). Les poèmes dans ce nouvel ouvrage sont d'ailleurs repris de l'édition de 1984. Sans doute donc le meilleur spécialiste français de l'oeuvre de Maïakovski, Claude Frioux fut pourtant prudent. Ainsi, à propos de Lili Brik qui apparaît toujours comme une passion majeure dans la vie du poète, il précisait : "celle du moins qui a le plus marqué nominalement son oeuvre" (p. 65). Doute légitime, que corroborent de nombreux faits et témoignages : Lili serait à l'origine du refus à Maïakovski d'un visa, refus qui causera sans doute son suicide.
Puisque le livre est intitulé "du monde j'ai fait le tour", les voyages seront au coeur de cet ouvrage. "Voyager m'est indispensable. Le contact des choses vivantes remplace presque pour moi la lecture des livres" (p.13). Néanmoins, il n'a pas fait le tour du monde mais a connu l'Europe et les Etats-Unis, une partie de l'Amérique du Nord donc.
Les voyages seront par conséquent Paris et Berlin, Prague et Varsovie. Puis ce sera Cuba et le Mexique et surtout New York et les Etats-Unis. Là-bas, il rencontrera, une femme, russe, immigrée, Elizaveta Petrovna Zibert. Avec elle, il aura une fille, Hélène Patricia, née le 15 juin 1923. Fille du poète donc, qu'il ne verra qu'une seule fois, à Nice. Ce que pense Maïakovski des Etats-Unis est complexe. Il admire les prouesses techniques mais il souligne aussi le racisme et la vie difficile de la classe ouvrière. Maïakovski, futuriste, voulait "non pas l'exaltation de la technique mais sa domestication au nom des intérêts de l'humanité."
Maïakovski ne parle aucune langue étrangère et il dépend donc de ceux et celles qui le prennent en charge. "Je n'ai vu l'Amérique que des fenêtres du wagon" (p. 229), dit-il : c'est le lot du touriste. Maïakovski a été un spectateur de l'Amérique, spectateur de Paris et de Berlin, spectateur de la Russie aussi, sans doute. Mais n'est-ce pas le métier du poète que de voir, de regarder, d'imaginer, de fabriquer des images : "le poète a le droit et la nécessité d'organiser et de transformer le matériau qu'il voit et non pas seulement de la polir" ? Ce sera aussi "Le pont de Brooklyn - / vraiment... / C'est quelque chose", et Maïakovski évoquera, admiratif, "le calcul rigoureux / des boulons, / du métal". "J'AIME NEW YORK à l'automne dans l'affairement des jours ouvrables" mais Maïakovski décrit la ville au travail. "JE HAIS NEW YORK LE DIMANCHE". Et puis ce seront aussi des images horribles des abattoirs de Chicago et des animaux abattus : "Une machine soulève avec un crochet les porcs vivants et hurlants" (p.233). A Detroit, Maïakovski visite en touriste les usines Ford et peut voir les ouvriers immigrés au travail : "Comment faire de la propagande en 54 langues"?, s'interroge-t-il. "La langue de l'Amérique, c'est la langue imaginaire de la Tour de Babel, avec cette différence que là on mêlait les langues de telle façon que personne ne comprenne, ici on mélange pour que tous comprennent. Le résultat est que de l'anglais on fait une langue que tout le monde comprend sauf les anglais..." (p.231)
Ce livre est utile pour mieux connaître Maïakovski, mais il est surtout bien fait pour que les lecteurs et lectrices l'aiment. C'est un très bon livre.