Anne Quinchon-Caudal, Avant Mein Kampf. Les années de formation d'Adolf Hitler, Paris, CNRS Editions, 386 p., Bibliogr., Index.
Ce livre est indispensable pour tenter de comprendre et d'expliquer l'ascension au pouvoir d'Adolf Hitler. Il s'agit des années d'immédiat avant et après guerre, de 1908 à 1924. Il s'achève par un petit texte de Dietrich Eckart, sensé rapporter une conversation avec Adolf Hitler (Der Bolschewismus von Moses bis Lenin. Zwiegespräch zwischen Adolf Hitler und mir, pp. 245-357). Ceci est révélateur, sans doute, des idées par lesquelles est passé Hitler dix ans avant sa prise de pouvoir.L'ouvrage de Anne Quinchon-Caudal, Professeur à Dauphine, est prudent, très prudent. Elle doute de la validité des témoignages venant des amis de Hitler ; ils la laissent "perplexe". Elle confronte les affirmations citées par Mein Kampf avec les courriers de Hitler et elle peut affirmer qu'il n'était pas antisémite avant 1919. D'une manière générale, l'auteur est très prudente - j'insiste - et elle convainc ses lecteurs et lectrices. Mais les éléments pouvant servir de preuve sont bien rares.
D'abord, de 1908 à 1918, l'auteur s'interroge et interroge tous les témoignages possibles : Hitler n'était manifestement pas antisémite alors. Ensuite vient "l'entrée en politique" de Hitler qui ne commence d'ailleurs pas par l'antisémitisme. Ce n'est que sous l'influence de Dietrich Eckart, celui dont elle dit qu'il aurait été "l'accoucheur" et le formateur de Hitler, que ce dernier devient antisémite. Dietrich Eckart était d'une vingtaine d'années l'aîné de Hitler ; il échoua à ses études de médecine, sans doute à cause de sa consommation d'opium, et devint un auteur de théâtre assez médiocre qui a toutefois connu un certain succès avec sa traduction de Peer Gynt (Henrik Ibsen). Dietrich Eckart écrit pour la presse nationaliste et antisémite, se rapproche du parti nazi (le NSDAP) et d'Adolf Hitler qui se met alors à dénoncer "l'enjuivement" de l'âme allemande. En 1922, Hitler commence à être publiquement appelé le Führer ; il abandonne Dietrich Eckart qui décèdera bientôt. C'est alors le chapitre 3, "La constitution d'une idéologie ferme et cohérente sous l'influence de Dietrich Eckart (1920-1923)". En conclusion, quelque peu risquée, Anne Quinchon-Caudal considère que la force de l'idée nazie est celle d'une religion politique qui s'est incarnée "dans le petit messie monstrueux modelé par Dietrich Eckart". Logiquement donc, c'est l'ouvrage de celui-ci dont elle présente et effectue la traduction annotée ensuite. Anne Quinchon-Caudal est germaniste de formation, ce qui la préserve des conclusions hâtives ; il est d'ailleurs dommage que le livre ne donne pas la version originale à côté de la traduction.
Voici donc un travail solide sur l'origine de Hitler et de l'hitlérisme. On peut regretter que son auteur ne puisse véritablement conclure ce travail mais c'est la force même de son analyse qui rend toute conclusion difficile et improbable. Est-ce que cela tient au personnage de Hitler, tellement dissimulé à partir de Mein Kampf, ou bien à la faiblesse de l'outillage intellectuel dont on dispose encore actuellement pour les analyses historiques ? En tout cas, grâce à l'ouvrage de Anne Quinchon-Caudal, on a incontestablement progressé dans l'analyse de la formation du nazisme et de la "généalogie intellectuelle" de la pensée de Hitler, ce "symptôme", comme l'énonce prudemment aussi Nicolas Patin, autre éminent spécialiste, dans son introduction à Avant Mein Kampf. Pas de conclusion, telle est donc la conclusion de ce livre bien mené.