Marc de Launay, Nietzsche et la race, La librairie du XXIème siècle, Editions du Seuil, Paris, 2020, 178 p.
Ce livre ne passera pas inaperçu aux lecteurs déjà habitués de Friedrich Nietzsche. De ceux qui franchiront le titre, si peu avenant, et, à mon avis, plutôt maladroit, ou tellement adroit que beaucoup de lecteurs risquent de s'y perdre voire de ne pas commencer de lire ce livre pourtant indispensable à la compréhension de Nietzsche.
Marc de Launay est l'un des meilleurs spécialistes français de Nietzsche, et il dirige l'édition des oeuvres de Nietzsche en Pléiade.
Tout d'abord, ce livre était indispensable pour mettre fin, clairement, et sans discussion, à l'idée d'un Nietzsche hitlérien et sympathisant des idées nazies. Cette idée d'origine antisémite et nazie, est née des initiatives de la soeur de Nietzsche, elle-même antisémite intéressée et épouse d'un antisémite notoire à l'époque.
Dans cet ouvrage, Marc de Launay analyse quelques unes des idées nazies, celle de race (et de lutte des races) associées à Nietzsche, d'homme aussi et il recadre les principales idées de Nietzsche sur le surhomme. Mais, surtout, il démontre que le nazisme n'a en aucune manière affecté la philosophie de Nietzsche.
Cette philosophie n'est pas facilement accessibles et l'auteur cite la phrase d'Ovide chère à Descartes :"Bene vixit qui bene latuit" ("Vivre caché c'est vivre heureux").
"Etre allemand comme il faut, c'est se dégermaniser" ("Gut deutsch sein, heisst sich entdeutschen") proclame Nietzsche. Cette proposition est à lier à celle qui voudrait "exclure du pays les braillards antisémites" et l'Europe est à penser comme le contraire du cosmopolitisme, mais comme "celle de l'affrontement aiguisé des esprits libres issus de chacune de ses composantes culturelles".
Nietzsche n'était pas antisémite, même s'il a connu quelques maladresses dans ses débuts : les Juifs sont "le peuple le plus fatal de l'humanité" ou encore "Ce que l'Europe doit aux Juifs ? Beaucoup de choses, bonnes et mauvaises, et surtout ceci qui appartient au meilleur et au pire : le grand style dans la morale, l'horreur et la majesté des exigences infinies, [...] tout le romantisme sublime des problèmes moraux".
Nietzsche ne supportait pas la "bêtise antisémite" et ce livre formidablement intelligent, intéressant, le rappelle à chaque page. Pas toujours facile à lire mais passionnant. L'auteur est fin lecteur, il ramène Nietzsche à l'essentiel.