Apollinaire. Le regard du poète, Paris, 2016, Editions du Muséee d'orsay, Editions Gallimard, Bibliogr., Index, 320 p. 45 €
Catalogue de l'exposition qui s'est tenue à Paris au Musée de l'Orangerie (6 avril -18 juillet 2016).
Guillaume Apollinaire fut, comme Charles Baudelaire, un poète de la modernité : il célébra l'aviation, les tramways, le cinéma, la "rue industrielle", la Tour Eiffel, les phonographes, l'électricité, le machinisme ("sonneries électriques des gares chant des moissonneuses")... et la publicité. Car "A la fin [dit-il], tu es las de ce monde ancien" ("Zone", Alcools). Louis Aragon (Le Paysan de Paris) et André Breton le suivront dans ces goûts : on pense aussi au tableau de Marc Chagall, "Paris par la fenêtre" (1913) avec la Tour Eiffel et un train du chemin de fer de petite ceinture. Ou encore au tableau de Natalia Gontcharova intitulé "La lampe électrique" (1913). Tous deux présents dans le catalogue. Le débat avec le futurisme n'est jamais loin.
"Je crois avoir trouvé dans le prospectus une source d'inspiration... Il me reste les catalogues, les affiches, les réclame de toutes sortes. Croyez-moi, la poésie de notre époque y est incluse. Je l'en ferai jaillir…" (cité p. 57). Dans le catalogue de l'exposition, figurent quelques reproductions d'images publicitaires qui ont pu séduire Apollinaire : la première pour la ouate thermogène (un diablotin crachant des flammes), une autre pour "Fantômas", film muet de Louis Feuillade (mai 1913) ; Apollinaire est même membre fondateur, avec Max Jacob, de la Société des Amis de Fantômas, la SAF !).
Guillaume Apollinaire aime le cinématographe ("l'art populaire par excellence"), il aime les films de Charlie Chaplin, les Fantômas, les westerns. Il écrira même un cinéma-drame, "La Bréhatine" (1917). Cf. le texte de Carole Aurouet, "Apollinaire et le cinéma", pp. 61-64).
Guillaume Apollinaire fut aussi un admirateur des arts dits premiers (extra-occidentaux, africains surtout, Congo, Dahomey), ce qui était alors une dimension de la modernité, (de la mode ?) occidentale que le colonialisme ne dérange guère . Voir le contribution éclairante de Maureen Murphy : "Apollinaire et l'oiseau du Bénin (Picasso) : le primitivisme en question". pp. 83-96.
L'exposition et le catalogue mettent en évidence, de manière dispersée, le milieu d'Apollinaire, son "cercle" (le champ, dirait Pierre Bourdieu) avec son réseau de relations, peintres, galiéristes, journalistes, collectionneurs, éditeurs grâce auquel il gagne sa vie. Voir le travail de Sylphide de Daranyi "Apollinaire acteur du monde de l'art - Chronologie" (pp. 279-286). Mais la chronologie, minutieuse, indispensable, ne suffit pas à éclairer la structuration même de ce champ, sa polarisation, son efficacité économique, les conflits d'école, de personnes (dont la relation Apollinaire / Picasso ou encore Marie Laurencin / Apollinaire), les bénéfices, les enjeux, les "amis", les transformations du champ (travail engagé par Anna Boschetti, cf.infra). Qui accomplira ce travail de sociologie historique de l'art (cf. celui de Pierre Bourdieu sur Manet et le symbolisme) sans lequel on se perd ?
Guillaume Apollinaire fut un homme de son temps. Comment ne pas l'être ? Pourtant, il en émerge comme une intelligence de son temps... un "homme-époque" ?
Référence :
- Anna Boschetti, La poésie partout. Apollinaire, homme-époque (1898-1918), Paris, Editions du Seuil, 2001, 347 p. Index.