Partons de deux articles.
Un bilan, documenté, malin et plein d'humour publié par une journaliste, Béatrice Gurrey dans Le Monde des Livres (23 septembre 2011) sous un superbe titre : "Le plagiaire sans peine".
Ensuite, la recension d'un chercheur, Charles Coustille, dans Acta Fabula (18 septembre 2011), "L'autre seconde main", qui traite du livre de Hélène Maurel-Indart, Le Plagiat (Gallimard).
Etiologie du plagiat
On veut paraître, on copie ou l'on sous-traite à un auxiliaire anonyme et plus ou moins bien rémunéré ("nègre", ghostwriter). Celui-ci n'a pas de raisons de se forcer, alors, à l'occasion, il copie, il vole (plagiarus). Il ne risque pas grand chose, puisque lui, il n'existe pas. Le "pseudo auteur", tout à son ignorance et à sa suffisance ne se rend pas compte du plagiat : cela fait partie des risques du métier ! Copier, coller : le Web et l'ordinateur permettent de copier "sans peine". Béatrice Gurrey dresse un premier inventaire, plutôt people : Ardisson (T), Attali (J), Beyala (C), l'évêque Gaillot (J), Le Bris (M), Macé-Scarron (J), Minc (A), Poivre d'Arvor (P)... Echantillon dans lequel les média-people, que les médias promeuvent sans vergogne, sont sur-représentés. Certains sont récidivistes. Le phénomène a pris tant d'ampleur que Hélène Maurel-Indart, spécialiste et universitaire, auteur d'ouvrages de référence sur le plagiat (Plagiats, les coulisses de l'écriture, 2007), y consacre un blog avec une rubrique "actualité" : leplagiat.net.
Voir aussi Du plagiat, (2011) Gallimard Folios |
Modèle d'affaires
Au-delà de l'indignation vertueuse, voyons le moteur économique et médiatique du plagiat. Le faux auteur sous-traite l'oeuvre à un écrivant fantôme et monétise ensuite la notoriété de son nom de faux auteur médiatisé sous la forme de conférences, conseil, droits d'auteurs et mondanités diverses.
Le faux auteur est une vraie marque ; il dispose d'accès gracieux aux médias, où souvent il émarge plus ou moins (multi-positionnalité), grâce à quoi il n'achète que peu d'espace publicitaire. Son image de marque lui garantit une audience que le "plagié" ne recueillerait jamais, faute de contribution gratuite des médias : lui n'est pas une marque, sa notoriété spontanée est nulle. Il est sans nom, anonyme. Le plagiat est oeuvre de médiatisation. Sans média, pas de plagiaire ?
Un mal français ?
Béatrice Gurrey voit dans le plagiat et ses variantes un "mal français" : en France, on ne punit guère le plagiaire. En Allemagne, aux Etats-Unis, c'est un genre plus risqué. D'ailleurs, un noble et très riche politicien allemand, ministre, Karl-Theodor zu Guttenberg, s'est vu récemment retirer son titre de "docteur" : 82% (sic) de sa thèse était copiée-collée. La "Plagiatsaffäre", comme dit la presse allemande (cf. Der Spiegel et Die Zeit), fit grand scandale : le pseudo-docteur démissionna et s'est installé aux Etats-Unis (cf. infra, Mise à jour)...
Le politicien qui doit construire et maintenir sa marque s'exprime sans cesse : travail média, comme pour un yaourt ou une lessive. Aussi, le monde politicien fait-il prospérer de nombreuses "plumes" qui alignent des discours à la chaîne. Le mal est public, à peine masqué, admis : nul ne soupçonne plus un politicien, un chef de grande entreprise de rédiger lui-même ses interventions. Ceci contribue à l'acceptabilité du plagiat et des copier-coller indus.
Antoine Compagnon évoque, à propos de l'université, "la tentation du plagiat" (2002)... Dès 1996, Plagiarism.org a traité de la prévention de ce problème pour le système éducatif américain. Partout dans le monde, l'université est mal à l'aise avec le problème du copié-collé et du plagiat, au point de promouvoir des logiciels capables de débusquer les coller-copieurs (iAuthenticate, Turnitin, etc.) ; voir le blog de Jean-Noël Darde, consacré au plagiat à l'université, "Archéologie du copier-coller". La mondialisation des universités occidentales, la présence d'étudiants capables de copier-traduire-coller à partir de langues exotiques, complique la détection.
Mise à jour 10 août 2012
Debora Weber-Wulff, "Viewpoint: The spectre of plagiarism haunting Europe", BBC News, 25 juillet 2012.
Keach Hagey, "Time, CNN suspend Zacharia", The Wall Street Journal, 10 août 2012
Responsable ? Internet !
Erreur ! Le Web a bon dos ! Ce que met en question le plagiat scolaire, c'est le type d'exercice demandé à des élèves ou étudiants pour évaluer les connaissances et savoir faire acquis... On n'a pas attendu le Web pour copier ! Le Web, gigantesque bibliothèque de Babel, n'est pas le problème, mais plutôt la solution. D'abord, le Web permet la détection des plagiats, ce qui était plus difficile et aléatoire autrefois. Mais, surtout, le Web dévalorise de facto certains travaux scolaires effectués à la maison, dissertations, commentaires, résumés, mémoires, exposés, fiches, etc. Sans compter les traductions scolaires ! Car tout est sur le Web, tous les enseignants le savent, tous les élèves aussi, qui, dès l'école élémentaire, bénissent Wikipédia. Wikipedia que "plagient" aussi des auteurs plus connus : Chris Anderson, journaliste, a évoqué une maladresse technique de l'éditeur ; pour Houellebecq, on prétexte l'intertextualité...
Le Web n'a pas fini de secouer le monde éducatif : pour échapper à ces difficultés, il faut plutôt prôner la créativité, l'originalité, le risque, l'invention. Ce ne sont pas toujours des vertus scolaires cardinales. Mais elles pourraient le devenir ; de nombreux pédagogues le réclament depuis longtemps : Montessori, Freinet, Nietzsche, Boulez, etc.
effectivement, je me suis aperçue lors de mes études à l'étranger que le plagiat est beaucoup plus encadré hors de France. En Ecosse, chaque étudiant doit signer, à chaque fois qu'il rend un devoir maison, un document écrit sur lequel il atteste ne pas avoir plagié une oeuvre. Et les devoirs sont passés à la moulinette, dans un logiciel complexe, pour vérifier la bonne foi de l'élève, et l'originalité de son oeuvre. Reste que toutes les sources ne sont pas connues par ces machines, et que les étudiants ont encore de belles heures devant eux!
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