dimanche 4 septembre 2011

Poésies de l'ère numérique

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Charles Bernstein, Attack of the difficult poems: Essays and Inventions, 2011, University of Chicago Press, 282 pages

Ouvrage sur l'invention poétique par un professeur de composition poétique à l'Université de Pennsylvanie, élève de Stanley Cavell, qui dirigea sa thèse. L'ouvrage regroupe divers essais : sur l'enseignement universitaire des "humanités", sur le statut social de la poésie, sur la poésie américaine et les (autres) Amériques, etc.
Comment la modernité numérique transforme-t-elle l'expression artistique et, plus particulièrement, poétique ? Le numérique permet des reproductions des textes hors des normes de production ou de "traduction" alphabétique. La poésie, sous le coup de l'évolution des technologies de reproduction, passe de la récitation (performed poetry), au livre imprimé puis maintenant à l'écran (cf. sur iPad). L'auteur examine la situation sous plusieurs angles : l'enregistrement oral de la poésie ("Making audio visible"), l'écriture poétique avec des outils informatiques, la reproduction et le montage des sons et des images (photographie) de manières personnelles, totales ("total textuality"), etc.

N.B. sur des sujets voisins, pour les illustrer, voir, par exemple, 
  • à Berlin, certaines expositions du musée Hamburger Bahnhof (Museum für Gegenwart / Musée pour le présent), comme "Live to Tape" (Mike Steiner).
  • Callay Project, un site qui repense l'accès à l'art, donc sa définition. en exploitant, entre autres, les médias sociaux (à suivre sur Facebook, Twitter, Google+).
L'idée directrice de ce livre, délibérément dispersé, est que les technologies de communication sécrètent leurs propres formes poétiques, distinctes de celles des technologies achevées et que de nouvelles formes créatives doivent naître des technologies numériques. En même temps qu'il décortique et scrute des possibilités de créations nouvelles, Charles Bernstein stigmatise l'institution universitaire qui ne peut pas donner une place suffisante à la poésie et s'égare dans un inutile culte de l'utile.
Difficile bataille !

Pourtant jamais la créativité n'a été plus célébrée que par les cultures numériques, qu'il s'agisse d'esthétique, de design, d'ergonomie, de mathématiques et même de techniques de commercialisation. L'économie numérique manifeste un besoin continu d'innovation. Ce que souligne, de facto, la réussite d'Apple, de Pixar et de Steve Jobs (par exemple), est l'importance, pour penser mieux, de rechercher des formes nouvelles de beauté et de rationalité pratique. Non pas Rimbaud ou l'informatique mais Rimbaud plus l'informatique, Ginsberg plus le smartphone. "Epanchement du songe dans la vie réelle" (Nerval).

L'économie numérique a besoin de "surréalisme" et de "futurisme". Or nos systèmes éducatifs, passées les années de maternelle, sclérosent la créativité langagière et artistique. Enrichir les moyens d'exprimer pour enrichir les moyens de penser et d'inventer. A quoi bon des moteurs de recherche sans textes complexes, que vaudrait le ciblage comportemental sans la diversité désordonnée des énoncés ? Si l'expression langagière continue de s'appauvrir, ces outils s'exténueront dans la tautologie. Les entreprises du numérique devront se soucier du capital de poésie dans lequel elles puisent le savoir sans le savoir.

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