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mercredi 23 novembre 2016

Homère, maître d'écoles, ciment culturel


A l'école d'Homère. La culture des orateurs et des sophistes, sous la direction de Sandrine Drubel, Anne-Marie Favreau-Linder et Estelle Oudot, Editions Rue d'Ulm, 2015, 298 p., Bibliogr, Index des auteurs et des textes. 19 €

Homère, matière première de la culture inculquée à l'école, "Homère maître de rhétorique", Homère et les médias...
L'ouvrage réunit des travaux d'une vingtaine d'auteurs universitaires qui "explorent la place du modèle homérique dans les pratiques scolaires et rhétoriques ainsi que "dans les rituels sociaux des élites". Donc dans les médias de ces époques.
La période couverte va de Socrate et Platon (5ème siècle avant notre ère à Athène) au 12ème siècle à Byzance. L'espace couvert inclut l'Afrique et l'Egypte.
Etre cultivé, c'est alors savoir citer Homère, mobiliser son autorité, suivre son modèle. L'ouvrage aurait pu aller plus loin dans le temps, jusqu'au 19 ème siècle, toucher l'Europe du Nord, l'Amérique... Que l'on pense à l'omni-présence de Homère dans l'œuvre de Henri-David Thoreau (à Walden, seule l'Iliade lui manque) ou, surtout, dans celle de Friedrich Nietzsche qui fit son cours inaugural sur Homère et la philologie classique à l'Université de Bâle, en 1869 : "Homer und die klassische Philologie".

"Le premier des sophistes" dit d'Homère Flore Kimmel-Clauzet ; "vivier de formules, d'histoires, de passages remarquables permettant de s'entraîner à développer une virtuosité oratoire", ajoute Fabrice Robert qui analyse un corpus de textes utilisés par les rhéteurs pour enseigner". Ciment de l'hellénisme", conclut-il, Homère est "l'origine des légendes et des mythes fondant l'identité grecque".

A l'école d'Homère n'est pas un ouvrage facile, il demande une lecture lente, beaucoup d'attention aux démonstrations savantes et subtiles, mais très diverses, des auteurs, une rumination en somme, comme le demandait Nietzsche. Mais ce travail apporte aux non spécialistes un peu de la distance nécessaire pour percevoir comment notre futur proche développe sa culture et ses références.
Le "regard éloigné" que revendique Florence Dupont pour l'hellénisme (cf. méthodologie des écarts) est fécond (y compris scolairement : cf. "Plus de latin, plus de grec : faut-il laisser l'enseignement décliner ?" à propos de Homère, Virgile, indignez-vous). Actualité d'Homère (cf. le numéro du Magazine Littéraire daté d'octobre 2017 : pourquoi a-t-on besoin d'Homère?). On connaît le paradoxe de Charles Péguy : "Homère est nouveau, ce matin, et rien n'est peut-être aussi vieux que la journal d'aujourd'hui".
Septembre 2017

Qu'est-ce qui dans nos sociétés, depuis quelque temps livrées aux moteurs de recherche et aux publications socio-numériques, joue le rôle d'Homère pour les siècles passés, référence implicite ou explicite, contenus que l'on pille, sur lesquels on s'appuiera pour illustrer, enseigner, argumenter, frimer ? Shakespeare, Goethe, Cervantès autrefois ? Victor Hugo ? Mark Twain ? Confucius (孔子) ou la Pérégrination vers l'Ouest (西游记), Tolstoï, le Rāmāyana de Vālmīki ?

Qui aujourd'hui, quelles œuvres en Europe, en Asie, seraient des équivalents du ciment homérique (hors textes religieux) ? Peut-être ce ciment est-il à chercher dans des œuvres audio-visuelles, films, jeux vidéo ou séries "cultes" (Lord of the Rings, La Légende de Zelda) ou la "littérature chantée" de Bob Dylan (performed litterature), à moins que la parcellisation sociale et politique n'en ait terminé avec tout ciment culturel...


Voir aussi :

Pourquoi Bob Dylan est important : surprendre les airs du temps

samedi 17 septembre 2016

Le livre, entre auteurs et imprimeurs



Roger Chartier, La main de l'auteur et l'esprit de l'imprimeur, Paris, 2015, Gallimard, folio Histoire, 406 p. Index. Notes abondantes (80 p.)

Touche après touche, Roger Chartier retrace, l'histoire du livre avant le 18ème siècle, pour y distinguer la part de l'auteur et celle de l'imprimeur. Cet examen minutieux est riche d'intuitions et de suggestions pour penser le nouveau tournant pris au 21ème siècle par le livre, entre imprimerie et édition numérique.
Cet ouvrage au format de poche rassemble des contributions à l'histoire du livre que l'auteur a dispersées dans diverses revues, actes de colloques, livres collectifs. Il constitue une anthologie commode pour suivre, de cas en cas, la pensée de Roger Chartier, Professeur au Collège de France (Ecrit et cultures dans l'Europe moderne).
Le travail de Roger Chartier est indispensable pour analyser l'histoire de l'écrit en Europe, et donc l'histoire des médias. Pour exposer ses thèses, Roger Chartier choisit des moments particuliers de l'histoire, des pliures exemplaires où se révèle nettement la nature de l'écrit.

Intitulé "la main de l'auteur", un chapitre traite du manuscrit (codex) : archives littéraires, manuscrits d'auteurs, rares avant le 19ème siècle, manuscrits de théâtre des 16 et 17ème siècles ; se révèlent alors le rôle des copistes et des textes préparés pour l'imprimeur par les correcteurs et typographes.

Plusieurs développements sont consacré à la traduction, et à la relation du livre à la scène de théâtre : édition de livres de régies et copies d'acteurs (sorte de prompt book guidant la représentation) ; au centre de l'analyse, les œuvres de Shakespeare et de Cervantes. Roger Chartier étudie également le rôle de la ponctuation dans l'oralité, pour le passage à la scène.

Un chapitre est consacré au texte de Bartolomé de las Casas (1552) sur la colonisation espagnole des Amériques et la destruction des Indiens par l'esclavage et les travaux forcés (15 millions de morts selon Bartolomé de la Casas) : Brevísima relación de la destruyción de la Indias. Roger Chartier suit les traductions et les éditions de ce texte et ses utilisations variées au service de diverses causes politiques et religieuses (Montaigne y puisera).

Un chapitre est consacré aux préliminaires d'un texte, tout ce qui forme le paratexte, selon l'expression de Gérard Genette. Le paratexte comprend préfaces, avant-propos, avertissements, dédicaces, approbation des censeurs, autorisation d'imprimer, etc. La démonstration est menée à partir d'une édition de Don Quichotte : l'intervention de l'imprimeur s'avère primordiale.

La mémoire, "bibliothèque sans livre" ? Roger Grenier évoque à ce propos le rôle des "librillos de memoria", ces sortes de tablettes (writing tables), effaçables et portables, sur lesquelles on écrit avec un stylet et qui fait penser par leur format et leur mobilité aux tablettes actuelles et aux ardoises magiques d'autrefois, qu'évoque Sigmund Freud comme métaphore de l'appareil psychique ("der Wunderblock", 1925).

Les réflexions de Roger Chartier alimentent précieusement et subtilement l'analyse de l'évolution de l'écriture et du livre avec le numérique (voir Ecriture et lecture numériques). Plus que jamais l'histoire des médias éclaire leur présent.

vendredi 19 avril 2013

Karl Marx, profession : journaliste

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Jonathan Sperber, Karl Marx. A Ninteeenth-Century Life, Liveright, 672 p., digital edition, 16,99 $ (20,59 $ hardcover).

A suivre la biographie de Marx proposée par Jonathan Sperber, le lecteur échappe à nombre de clichés colportés par les épigones soviétiques et les doxosophes de la philosophe française courante. Marx est de son temps et de ses illusions : comment ne pas l'être ? La biographie montre un Marx romantique et amoureux, un Marx fauché et mal soigné, se débattant dans les problèmes de santé (de ses enfants, de son épouse, de lui-même) et dans des difficultés financières chroniques (payer les médecins, payer l'épicerie, payer l'éducation des enfants, rembourser les créanciers...). Marx mêlera tout au long de sa vie des préoccupations terriblement quotidiennes à la théorie économique et à la tactique politique.
Cette biographie rafraîchit notre vision de Marx, la ré-humanise. Elle pose aussi la question de ce que peut être une biographie, de la pondération, nécessairement intuitive, que doit effectuer le biographe entre les effets de la situation personnelle et la logique de l'oeuvre.


La biographie de Jonathan Sperber remet au premier plan l'activité journalistique de Marx. Celle-ci est généralement sous-estimée quand elle n'est pas tout simplement ignorée par les spécialistes de science politique et de philosophie, qui s'en tiennent à quelques ouvrages canoniques (dont beaucoup sont posthumes et agrègent des articles). 
Journaliste sera le seul métier de Marx. Il écrit, fonde et gère des journaux (lève des fonds, etc.). Il n'enquête pas ; son terrain d'investigation est la presse, la documentation économique et historique, les débats parlementaires : journalisme de la chaire (Kathederjournalismus !), journalisme de données politiques et économiques déjà (moulinées à la main, en bibliothèque). C'est d'abord un polémiste ("contre" : Freuerbach, Stirner, Proudhon, etc.). Son bagage conceptuel est d'abord philosophique ; Marx est imprégné comme tous ses contemporains, de la philosophie de Hegel et des néo-hégeliens. Il lui faudra beaucoup d'énergie pour s'en libérer, la remettre sur ses pieds , "en défaire la gaine mystique pour en découvrir le noyau rationnel"), moyennant quoi elle constituera un bon viatique contre les positivismes.

A la différence de nombreux révolutionnaires de l'époque, Marx a reçu une formation classique : sa thèse de doctorat porte sur le l'atomisme grec, Démocrite et Epicure (il lira les classiques grecs, dans le texte, tout au long de sa vie). A l'université, il a suivi une formation juridique. Son premier article (1842) est symptomatique ; il porte sur la liberté de la presse en Prusse, commence en latin par une citation de Virgile et s'achève par une de Tacite !
Son univers intellectuel quotidien est celui de la presse (lectures plurilingues : allemand, français, anglais, italien, espagnol, etc.) et de la littérature classique : dans la famille, en pique-nique, on récite Shakespeare et Goethe. Il aime Dante, Cervantès et Balzac (et pas Eugêne Sue).
La presse est son gagne-pain de chaque jour ; pendant longtemps, ses seuls revenus réguliers lui viennent du New York Tribune, le principal journal américain, dont il est le correspondant européen (il rédige en anglais). Il collabore à plusieurs journaux (pigiste parfois pour six journaux à la fois, journaux publiés aux Etats-Unis, en Autriche, en Prusse, en Grande-Bretagne, en Afrique du Sud...).

A côté du journalisme, l'oeuvre de Marx est une oeuvre constituée d'échanges épistolaires (Briefwechsel : 35 volumes de l'édition MEGA en cours). Des volumes de courrier, depuis les lettres de l'époque des fiançailles jusqu'à la correspondance politique (Marx sera un immigré apatride toute sa vie). Dans cette société déjà mondialisée, mais sans téléphone, on rédige sans cesse de longues lettres manuscrites (Marx a une écriture indéchiffrable). Marx passe ses journées dans les bibliothèques, prend des notes méticuleusement, longuement (Cf. les "cahiers de lecture"). Il écume la presse, notamment la presse étrangère et la documentation économique disponible à Londres.

Au cours de cette biographie, le lecteur ressent l'importance décisive, pour le travail intellectuel, des outils d'une époque : outils de documentation, de collecte et de traitement des données, d'écriture, de communication, de stockage, de paiement... Marx est dans le papier jusqu'au cou : journaux, livres, manuscrits, notes, lettres, etc. Nous ne le sommes plus guère. Marx est polyglotte : nous ne le sommes pas, lisant tout dans un anglais pasteurisé. Marx cherche, fouille, discute, interroge ; nous nous laissons aller à des moteurs de recherche configurés d'abord pour vendre des contacts publicitaires.
On ne réfléchit jamais assez aux conséquences du mode de production intellectuelle d'une époque sur les productions intellectuelles de cette époque (idées, etc.). Qu'est-ce que c'est, penser ?

N.B.
  • Au plan bibliographique, rappelons la thèse d'Auguste Cornu sur la "jeunesse de Marx" (1934) ; cette thèse est reprise dans l'ouvrage en 4 tomes publié aux Presses Universitaires de France en 1955 qui commence de manière prudente par une révérence à Lénine ! A. Cornu est alors professeur à l'Université Humbold, à Berlin-Est (zone d'occupation soviétique). L'ouvrage, extrêmement détaillé, est consacré à la période de formation du jeune Marx (1818-1844). Signalons encore la réédition de l'ouvrage de Marcel Ollivier consacré à Marx et Engels, poètes romantiques (Paris, Edition Spartacus, 1933 / 2014, 143 p.) et le film de Raoul Peck, "Le jeune Karl Marx" (2016, cf. la bande annonce).
  • Désoviétiser Marx et Engels ? Une nouvelle édition des oeuvres complètes, en langues originales, délivrée de la vision soviéto-centriste, est en cours (Marx Engels Gesamt Ausgabe, MEGA), avec une triple ambition : "Entpolitisierung, Internationalisierung und Akademisierung" (dépolitiser, internationaliser, universitariser). L'ensemble comptera 114 volumes et s'achèvera, espère-t-on, vers 2025 (59 volumes ont déjà été publiés). Plusieurs volumes sont accessibles en version numérique dont les tomes 1 et 2 de Das Kapital (MEGAdigital).

dimanche 14 avril 2013

Foucault parle de littérature


Michel Foucault, La grande étrangère. A propos de littérature, audiographie, Paris, éditions HESS, 224 p. 9,8 €. Pas de version numérique (ebook).

La collection audiographie publie des cours classiques : un cours de Durkheim sur Hobbes, de Fustel de Coulanges sur Sparte, notamment.
Cet ouvrage nouveau regroupe des textes de Michel Foucault, prononcés à la radio ou lors de diverses conférences universitaires. Textes mixtes donc, manuscrits, tapuscrits mais aussi parlés, oraux.

La première partie, "Le langage et la folie" reprend deux émissions de radio diffusées en 1963 sur Radio France.
"Le silence des fous" est un montage de discours de Foucault avec des textes lus à l'antenne : une scène du "Roi Lear" (Shakespeare), la mort du Quixote (Cervantes), les pitreries du Neveu de Rameau (Diderot) et puis des textes de Tardieu, de Leiris, Artaud....
"Si nous écoutions", dit Foucault. Mais le lecteur n'entend rien que sa voix intérieure. L'ouvrage n'est pas accompagné de CD, de fichier à télécharger. Pas de son. Dommage. Alors que dans l'émission originale, Cervantes est lu par des comédiens... Et le Neveu de Rameaux (Diderot) qui chante, crie, imite est dit par des comédiens. Mais il ne nous reste rien, le texte seul, plat, et le lecteur restera lecteur seulement. Pourquoi le priver de l'audio que l'on attend désormais ? Un lien, un podcast auraient suffi. L'émission s'intitulait "L'usage la parole". Pourquoi n'avoir pas fait, lorsque cela était possible -mais peut-être ne l'était-ce pas ? - ce qui a été réalisé avec les propos de Pierre Boulez ? On pourrait disposer aussi d'une reproduction de quelques pages manuscrites... Cela aurait laissé deviner le travail d'écriture particulier que demande ce genre de texte, compromis entre écrit-oral de la conférence avec notes, notes réécrites pour la publication en livre (dont les cours au Collège de France sont un autre exemple). Dommage.

Ces regrets valent pour tous les textes réunis dans l'ouvrage. Foucault professeur, conférencier : nous manquent les silences, les hésitations, les émotions et ne nous reste qu'un texte trop lisse, corrigé, hypercorrect. Dommage.
Cinquante ans après, les questions de Foucault, parfois banales, restent fécondes : "l'incidence de la réussite de Gutenberg sur la littérature", "dans la littérature, il n'y a qu'un sujet qui parle, et c'est le livre...", "Quel phénomène de parole" est la littérature... Quels rôles peuvent jouer l'analyse littéraire, la critique ?

Et l'on attend quand même la bande-son !
Cette publication pose inévitablement le problème de la publication numérique : les possibilités sont plus nombreuses qu'il y a quelques décennies. L'édition devrait y veiller, c'est une de ses chances futures. Les lecteurs de Foucault, aujourd'hui, lisent sur des tablettes et des smartphones.
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samedi 26 novembre 2011

Don Quijote et Montserrat Figueras


Capture d'écran iPhone
Miguel de Cervantes, Don Quijote de la Mancha : Romances y Musicas
Alia Vox, 2005, texte en plusieurs langues dont espagnol, anglais, français, allemand et japonais
Montserrat Figueras (Soprano), Jordi Savall, La Capella Reial de Catalunya
Téléchargement : 14,99 €

Voici un objet esthétique et culturel de grande valeur, que je découvre bien tard, à l'occasion de la mort de Montserrat Figueras, à qui la musique vocale doit tant. Sur ces fichiers (ou CD) sont intertissés, subtilement, exactement, récitations du Quijote et environnements musicaux en parfaite affinité culturelle (historique, linguistique, etc.).
L'ensemble est époustouflant, qui ouvre une mise en scène éclairante du livre, une autre manière de l'écouter, de le (re) lire, de faire vivre la musique de l'époque d'un grand livre. Mettre le lecteur du Quijote dans l'ambiance musicale de Cervantes, l'aider à mieux imaginer, à entendre plus justement l'époque (important pour les non hispanophones). Autant de synergies créatives qui relancent et rénovent la question canonique : Qu'est-ce qu'un livre ?

Et l'on n'écoute jamais, jamais assez Montserrat Figueras.

Indications bibliographiques sur ce genre polyphonique à base de livre
Herta Müller : Je ne crois pas à la langue
Albert Camus, René Char : Média oubliés lus à haute voix
Du côté de Proust
Qu'est-ce qu'un livre : écriture numérique et livres électroniques
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dimanche 27 juin 2010

Ecriture et polyphonie numériques

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Evoquons d'abord l'oeuvre majeure du romancier américain John Dos Passos, USA Trilogy : The 42th Second Parallel, NineTeen NineTeenThe Big Money (1930-1932-1936)Cette trilogie romanesque sur les Etats-Unis entremêle quatre modes narratifs :
  • des récits au style indirect de la vie de douze Américains
  • Newsreels, collages d'extraits de la presse de l'époque (Chicago TribuneNew York World), titres, articles, messages publicitaires, paroles de chansons
  • The Camera Eye qui laisse parler les "états de conscience" ("stream of consciousness"), une "sous-conversation" du narrateur 
  • des biographies de personnages "historiques" (Henri Ford, Thomas Edison, etc.). 
Jean-Paul Sartre célébra Dos Passos (texte repris dans Situation, I, que vient de rééditer Gallimard) et signala cette polyphonie dans laquelle il retrouvait "le point de vue du choeur, de l'opinion publique".

Second exemple. Dans ses Essais de Théodycée, Leibniz imagine des livres munis de liens hypertextes renvoyant à des images de la réalité (zooms). Ce que la déesse Pallas montre à Théodore dans un appartement monde, "le livre des destinées" : "Mettez le doigt sur la ligne qu'il vous plaira [...], et vous verrez représenté effectivement dans tout son détail ce que la ligne marque en gros" [...] "On allait en d'autres chambres, on voyait toujours de nouvelles scènes" (o.c. p. 361). Nous sommes en présence d'une sorte d'iPad avec une interface qui deviendra classique recourant à des métaphores spatiales (appartement, chambre, etc.). Sorte de réalité virtuelle (VR).

Ces deux textes illustrent le besoin, manifeste depuis longtemps, d'un mode de narration polyphonique, plurimédia, mulidimensionnel que rendent aujourd'hui possibles Internet et les tablettes. Aujourd'hui, la trilogie de Dos Passos combinerait interviews audio, liens vers des journaux, vidéo, messages publicitaires, textes, photos, etc. Les biographies qu'imagine Leibniz aussi.
Une nouvelle "écriture" peut naître des nouveaux suppports numériques. Un livre numérique n'est pas le support nouveau de livres anciens conçus pour le papier, selon des normes éditoriales établies il y a quatre siècles ou plus, et numérisés à l'identique. Pour John Dos Passos, écrit Jean-Paul Sartre, "Raconter, c'est faire une addition" (o.c.). Addition multimédia aujourd'hui.
  • Le livre électronique désigne une oeuvre écrite par un auteur numérique (tentons cette expression) pour des supports numériques (eBooks). C'est la possibilité et la promesse d'une nouvelle écriture (et le fondement d'un droit d'auteur). Tel quel, ce livre n'existe guère (ou pas encore). Son droit d'auteur, lorsqu'il se mettra en place, devra-t-il s'inspirer de celui du cinéma (l'oeuvre cinématographique est convergence et synergie de métiers) ?
  • Ce n'est pas seulement un support matériel ("opus mechanicum", "ein körperliches Kunstprodukt", dans les termes de Kant), ce qui regrouperait aujourd'hui un ou plusieurs fichiers lisibles sur un support électronique quelconque (kindle, iPad, PC, iPhone, etc.). 
  • Ne pas commettre l'erreur de confondre en un seul mot les deux notions ("und nun besteht der Irrtum darin, dass beides miteinander verwechselt sind", Kant, o.c.).
  • La notion d'auteur revient à l'ordre du jour, retrouvant des situations connues autrefois par les oeuvres pour le papier (cf. l'illustration par Roger Chartier dans Cardenio entre Cervantès et Shakespeare. Histoire d'une pièce perdue).
Note bibliographique
Kant (Immanuel), "Was ist ein Buch", in Die Metaphysik der Sitten, 1797, (je ne trouve pas de traduction française en librairie !).  En allemand et en gothique
Benoit (Jocelyn), "Qu'est-ce qu'un livre", Textes de Kant et Fichte, PUF Quadrige, 1995
Foucault (Michel), "Qu'est qu'un auteur", 1969, Dits et écrits 1, Gallimard Quarto, pp. 817-849
Leibniz (Gottfried, Whilelm), Essais de Théodycée, 1710, Editions GF-Fammarion, 1969
Chartier (Roger), "Qu'est-ce qu'un livre ?", Les Cahiers de la Librairie, N°7, janvier 2009
Chartier (Roger), Cardenio entre Cervantès et Shakespeare. Histoire d'une pièce perdue, Gallimard, 2011
Macherey (Pierre), "Qu'est-ce qu'un livre", Université de Lille, novembre 2003

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