lundi 28 décembre 2009

Herta Müller et le eBook

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An 2009. Librairies à Berlin. Quoi de neuf ? Un Prix Nobel et des eBooks.
  • Le récent Prix Nobel de littérature (octobre 2009) de Herta Müller est visible : une demi-douzaine d'ouvrages présentés sobrement sur les tables et les rayons, bien mis en avant. Sans mise en scène particulière, pas de photo. Juste la pastille rouge ou blanche mentionnant le Prix Nobel sur les couvertures. Pas de biographie encore. Beaucoup d'ouvrages manquants. Herta Müller a publié également un audio-livre racontant son enfance ("Die Nacht ist aus Tinte gemacht", La nuit est faite d'encre, 2 CD) qui n'a pas de version papier (photo rayon audio-livres à a librairie Dussmann, Friedrichstrasse). 
  • Les eBook sont présents mais je n'ai pas vu de Kindle (Amazon). Les eBooks ne restent plus coincés dans les magasins de technologies numériques mais ils commencent à être visibles par le grand public des librairies. Là où est leur place, près des livres (cf. photo :  chez Hugendubel, Postdamer Platz en haut ; chez Dussmann, en bas).
  • Pour l'instant, l'intersection de Herta Müller et des eBooks est, semble-t-il, encore vide. Dommage. N.B. A la foire du livre de Franckfort, en novembre 2009, la plateforme libreka! a offert un livre pour eBook à télécharger gratuitement. Parmi les ouvrages offerts, le dernier roman de Herta Müller, Atemschaukel.
De Elfriede Jelinek, Prix Nobel de littérature récent (2004), de langue allemande, le dernier roman, Neid. Privat Roman, n'est disponible qu'en version numérique, gratuite, sur son site. Pas de papier. En revanche, certains de ses ouvrages peuvent être achetés pour Kindle dans leur traduction américaine.

Manifestement, la littérature multiplie ses formats et ses supports. Sans qu'il y ait nécessairement redondance entre ces supports. La presse pourrait s'intéresser à ces stratégies.


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samedi 26 décembre 2009

Marketing politique tous-azimuts : Mao dans la révolution culturelle


Guy Gallice, Claude Hudelot, avec Angel Pino et Isabelle Rabut pour les légendes, Le Mao, Editions du Rouergue, Rodez, 472 p. Index, 19 €

Cet ouvrage est consacré au marketing des idées et du personnage politique de Mao Zedong. Les deux auteurs ont rassemblé et commenté une étonnante collection de documents et d'objets consacrés à la célébration du Président Mao. Très beau livre, belle réalisation matérielle (encore que la position des légendes - précises et efficaces - en rende incommode la lecture). 472 pages, toutes d'illustrations, entrecoupées de quelques textes et commentaires.


Des photos, des statuettes, des bustes, des tableaux, des affiches, des médaillons, des opéras, des disques, le livre des Citations du Président Mao (dit, en France, Petit livre rouge), des gravures, des timbres, des vignettes, des postes de radio, des réveils, des horloges, des boîtes, des miroirs, des livres, des coffres, des coiffeuses, des cahiers d'écoliers, des éventails, des albums de photos, des bas-reliefs, des badges, des thermos, des assiettes, des gobelets, des flacons, des vases, des tasses, des théières, des bols, des étoffes, des tapis, des bannières, des drapeaux, des tapisseries, des sacs à bonbons, des mouchoirs, des taies d'oreillers, des bâtons à encre, des tampons, des sceaux, des billets de monnaie, des papiers découpés... et j'en passe. Cf. Ci-contre : pochette d'un disque de chants de la Révolution culturelle (années 1960).

Tous les supports possibles ont été mobilisés pour célébrer le premier Président de la nouvelle République chinoise, celui qui a mené le combat contre l'occupation japonaise, guidé la Longue Marche. Sur ces événements, une légende s'est construite, que la critique historique finira par préciser. Parler de "culte de la personnalité" n'aide pas à comprendre, au contraire. Mieux vaudrait rapprocher de ce catalogue total d'objets des diverses situations de marketing intensif, multi-canal : situations religieuses, situations commerciales... La prise de pouvoir sur les objets de la vie quotidienne est une tentation constante de la publicité et de certaines cultures religieuses (cf. les "objets publicitaires à collectionner"). Il nous manque de voir notre société de marketing intensif avec le "regard éloigné" d'ethnologues chinois.

Par son effet d'accumulation, ce livre constitue une contribution indéniable à la mesure du travail de célébration. Un tel inventaire, objectif et exhaustif, risque pourtant de laisser croire que l'efficacité de ce mass-marketing fut totale. La prise en compte de la réception, nécessairement subjective, est moins commode, aussi est-elle absente de la plupart des travaux sur les mass-médias. Une telle prise en compte relativiserait sans doute l'efficacité de l'inculcation politique. La mass-médiologie spontanée, condescendante, veut des médias tout puissants et une réception par les masses sans défaut, infaillible, passive, uniforme. Il est de l'intérêt des mass-médiologues  pour forcer leur thèse de ne pas voir, et de ne pas faire voir, les ruses multiples de l'intelligence à l'œuvre dans la réception (Métis, Μῆτις). Cette asymétrie est au principe de la plupart des discours sur les médias ; elle en dissimule le mode de fonctionnement et leurs conditions sociales et matérielles d'efficacité. Il faut bien voir combien l'étude de la réception est difficile tandis que l'analyse des contenus des messages du marketing est commode.

La fiction parvient parfois à évoquer les résistances rusées, subtiles, à l'inculcation. C'est, par exemple, ce que réussit le romancier de Yan Lianke (阎连科) dont le titre, Servir le peuple (Editions Philippe Piquier, Arles, 15 €), reprend ironiquement un slogan fameux de la Révolution culturelle (inspiré d'un discours de Mao Zedong du 8 septembre 1944). Les surréalistes avaient revendiqué l'amour et l'érotisme comme lieux de la révolution privée et de la résistance à bien des oppressions et tentations totalitaires : révolutions dans la révolution, qui échappent aux sciences sociales.

jeudi 26 novembre 2009

Unfriend me not! Follow me!

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Each media brings to life unexpected practices, and the words to enunciate them.
"Unfriend" is the American English "word of the year" according to Oxford University Press (USA). Facebook makes our life richer more with words than with friends. Facebook makes it as easy to unfriend... as to friend someone. Friends become a currency and Facebook a marketplace ("friends" for sale!).
Facebook is inflationist. A "friend" "follows", and maybe will "un-follow"! Followers are now everywhere, nolens volens... sometimes called subscribers. How to un-follow, un-subscribe?
Unfriend looks like a useful word, even beyond Facebook circles. According to lexicographers, it holds a lot of lex-appeal!
Why "unfriend" and not "defriend" (as in latin deficere / deficit)? Unfriend is neutral, in that there has never been friendship between the two parties. The opposite of befriend (befriend is an old transitive verb, 1559 according to Merriam-Webster) would be defriend, to get rid of a Facebook "friend".
Other words were considered as potential "word of the year" candidates. I like the portmanteau word "intexticated", sending and receiving texts -SMS- even while driving.

In order to test the innovative force of a verb, translate it. Not so simple, is it?! Because American business still dominates the online market, American English leads the way when it comes to linguistic creation. So are Chinese, French, German, Spanish speakers to use the American word? Translators, interpreters, help!
Come to think of it, do these languages have the same kind of popularity contest? We have mentioned the German contest in a previous post. What is the Chinese word of the year?

November 2013
I came across a comment on the translation of the German word "Verfreundung" created by the German poet Paul Celan : the word is in between "Anfreundung" (becoming friends) and "Verfremdung" (becoming strangers). The prefix ver often connotes loss. The author suggests a French translation: "dés-amitié" like "désaccord" (there is also a word "désamour" and a verb "désaimer").
cf. Brigitta Eisenreich avec Bertrand Badiou, L'étoile de craie, Paris, Edition du Seuil, 2013, p. 207).

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mercredi 18 novembre 2009

L'Affiche Rouge : un plan média collabo

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Benoît Rayski, L'Affiche Rouge, Paris, Denoël, 2009, 160 p.

Tout média peut servir le pire. Aucun média n'a de relation privilégiée à la liberté et à la justice. La radio servit magistralement les nazis (Göbbelsschnauze, Volksempfängeret la télévision fit de son mieux (cf. la télévision française et les nazis). L'affichage a joué pleinement son rôle dans l'établissement et l'acceptation du gouvernement français de collaboration avec les nazis.

Ce livre est consacré à l'affiche qui fut placée sur les murs de la France pétainiste lors de la condamnation à mort, par un tribunal nazi, de 23 résistants des FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisans. Main d'Oeuvre Immigrée) du réseau Manouchian arrêtés par la police parisienne. 22 furent fusillés le 21 février 1944, l'une fut décapitée trois mois plus tard dans une prison de Stuttgart. Beaucoup venaient d'Europe de l'Est (Arménie, Hongrie, Pologne, Roumanie), certains d'Italie, un d'Espagne et trois de France) ; beaucoup avaient à peine une vingtaine d'années, ils avaient participé aux combats des Brigades Internationales en Espagne, ils avaient échappé à la rafle du Vél d'Hiv, certains avaient lutté contre les fascistes de Mussolini. L'honneur de l'Europe.

L'affiche de propagande nazie, au fond rouge sang, devait justifier leur condamnation aux yeux de la population. Cette affiche était la pièce centrale d'un plan de communication pluri-média élaboré par le gouvernement français deVichy (Propaganda Abteilung et Ministère de l'information) : aux 15 000 affiches, s'ajoutaient des tracts et un film pour les actualités cinématographiques.

"L'affiche rouge" prétendait dénoncer des criminels, elle en fit des héros de la Résistance à l'oppression, sans autres racines que la liberté et la générosité. Paul Eluard, puis Louis Aragon, du symbole retourné, firent deux poèmes ; celui d'Aragon (mis en musique et chanté par Léo Ferré), inspiré par la lettre de Missak Manouchian à sa femme, Mélinée, est devenu hymne à la justice, à la vie. "Communistes, juifs, rouges, étrangers", disait l'affiche : "nos frères", répondit le poète. Il y a une rue Missak Manouchian dans le XXème à Paris, une plaque dans le XIème, une autre dans le XIVème, un parc à Evry. C'est encore bien peu quand on compte le nombre de plaques commémorant les sabreurs de toutes époques.

L'auteur parcourt avec émotion l'histoire des condamnés, énonce les faits, explique. Tout commentaire est superflu. Admiration, honte. Difficulté d'un commentaire média.
Pourtant, il s'agit bien de média.

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Mise à jour, 15 février 2014
70 ans plus tard l'Affiche rouge est à la une d'un hors série de L'Humanité, avec poster reproduisant l'affiche et le poème d'Aragon (février 2014).

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lundi 9 novembre 2009

Berlin, tourisme politique et pseudo-événement

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Pour quelques jours, le mur de Berlin occupe tout le terrain des médias. Marronnier décennal. Partout le Mur à la une, à la télé, à la radio, dans la presse... "Le Mur de la honte" ("die Mauer der Schande"), c'est son nom, que l'on n'entend guère : "honte" de l'avoir laissé construire, honte de l'avoir accepté, et parfois même revendiqué. Déshonneur de l'Europe que tant de célébrations n'effacent pas.
Berlin überall ! Radio France (secteur public) aurait envoyé 180 personnes pour couvrir de toutes ses chaînes ce "pseudo-événement" : le vingtième anniversaire d'un événement. Tourisme politique et peoplisation.
Pendant ce temps, en France, on n'enseigne plus guère l'allemand. Combien de journalistes pour en parler ?

Parmi les "pseudo événements" à venir : "the turn-of-decade project" de la chaîne de télévision américaine CBS. Et, bien sûr, le cinquantième anniversaire de la construction du Mur, le 13 août 2011.
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samedi 7 novembre 2009

Création et récréation lexicales


Comment évolue la langue sous les coups des jeunes générations ? Elle est affectée par les technologies populaires et récentes, par les préoccupations d'un âge et d'une époque. Langue de la jeunesse, jeunesse de la langue ? Les lexicographes écument les usages langagiers pour intégrer dans leur liste les créations lexicales et justifier ainsi de nouvelles éditions.
Langenscheidt (éditeur allemand de dictionnaires) et myspace parrainent le site Jugendwort.de qui recense les nouveaux mots élus, par les jeunes allemands, "mots de l'année". Quelques uns des mots et expressions répertoriés :
  • lollig : lol, le fameux "laughing out loud" donne un adjectif allemand qui à son tour donne un substantif : "die Lolle"
  • Bildschirmbraüne : bronzé comme un écran d'ordinateur, vise les personnes passant trop de temps sur leur ordinateur,Geeks
  • Ein Jambalaner : quelqu'un dont la sonnerie de téléphone exaspère les proches ; d'après le nom d'un site de sonneries, Jamba! qui, en Allemagne, a inondé de sa publicité les écrans de chaînes musicales comme MTV et VIVA (dont un message satirique controversé mettant en scène Hitler dans ses toilettes, 4 millions de téléchargements sur YouTube).
  • Hartz-IV TV : émissions de télévision médiocres diffusées l'après-midi (Hartz est le nom d'un parlementaire qui donna son nom à un ensemble de textes législatifs sur l'indemnisation du chômage voté entre 2002 et 2005...)
  • eine Gehirnkrücke : mot à mot, béquille pour le cerveau, désigne les outils numériques portables (téléphone, calculette, etc.)
  • Ego-Deko : tattoo, piercing, maquillage pour la mise en scène de soi
Cruauté, humour et surtout très mauvais goût - selon le goûts des plus âgés -, beaucup de ces expressions font délibérément vulgaire. Obnubilé par la sexualité, les manifestations du corps, ce lexique provoquant de démarcation générationnelle, déjà presque récupéré, se veut signe d'appartenance (indistinction) et de distinction. Tout écart lexical est positionnement. Ces mots vont viellir avec leur génération, se démoder comme les musiques, les pantalons et les coupes de cheveux. "Jeune homme qu'est-ce que tu crains / Tu vieilliras vaille que vaille...", prévenait Louis Aragon.

"Hä?? Jugendsprache", "langue de la jeunesse", un petit dictionnaire de ces mots et expressions est publié (4 €) par l'éditeur allemand Langenscheidt en cinq langues (allemand, anglais/américain, espagnol, français, italien).

Que faire de ces mots quand on travaille avec pour matière première les mots que les internautes utilisent pour rechercher un produit, un document ? Comment les prendre en compte pour mettre en place un marketing comportemental bien équilibré ? Ces mots énoncent une génération, un rapport plus ou moins détendu à la langue et aux registres de langue, donc une fraction de classe sociale. Ils sont matière à distinction, connotant plutôt que dénotant, jouant aussi de l'hypo-correction. Relevant donc d'une approche sémantique plutôt que lexicale.
Peut-on - et comment - prendre aux mots une génération, une fraction de classe sociale à ses propre mots ?
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lundi 2 novembre 2009

La peur du déclassement

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Eric Maurin, La peur du déclassement. Une sociologie des récessions, Editions du Seuil, 2009, 95 p.

Nos systèmes explicatifs, nos outils de ciblages manipulent des classes et groupes d'appartenance et de référence, sous la forme simplifiée, plus ou moins détaillée de catégories socio-professionnelles (PCS) produites et mises à jour régulièrement par l'INSEE. Commodes, ces catégories sont toutefois réductrices, sans dimension temporelle ; sauf travaux spécifiques, elles laissent échapper la mobilité sociale inter et intra-générationnelle, le changement social en cours et surtout la conscience plus ou moins lucide qu'en ont les acteurs. Or cette conscience des classes affecte les comportements et la résistance aux changements sous la forme d'anticipations plus ou moins rationnelles, d'attitudes et d'opinions.

Eric Maurin analyse un phénomène psycho-sociologique, la peur du déclassement, et le confronte à la réalité telle que la construisent les transformations des classes d'appartenance sous l'effet des politiques économiques, depuis 1945. En étudiant la situation française, il met en évidence les spécificités de l'organisation économique à la française à partir de ses données d'emploi et du droit du travail qui traduit les rapports de forces : puissance du secteur public, rôle du statut socio-économique, spécificité du système scolaire et universitaire. Diagnostic principal :  la société française est une "société à statut".

De l'histoire économique et sociale qu'il décortique émergent des notions que l'analyse des médias pourrait prendre en compte avec profit. Par exemple, l'auteur souligne l'enjeu croissant de la compétition scolaire qui "mine les familles" (p. 57) et pèse sur les épaules des enfants. Chiffres à l'appui, il démontre que seule l'école est "libératrice" et que le diplôme constitue la meileure protection contre le chômage et les emplois déqualifiants. Mais plus l'école se démocratise et plus la compétition scolaire est féroce, et plus les moyens extra-scolaires de réussite scolaire sont valorisés, à tort ou à raison. Il n'y a là aucun paradoxe ; Les Héritiers et La Reproduction (Bourdieu et Passeron) restent actuels. Ceci s'observe dans le foisonnement de médias de "bonne volonté culturelle" (presse pour enfants, pour parents d'élèves), dans l'interrogation sur le rôle d'Internet dans la compétition scolaire où sont plongés les enfants dès la maternelle, dans la lancinante dénonciation de la télévision des enfants, des jeux vidéo, etc.


Dans une société de mise en concurrence généralisée, la peur du déclassement, justifiée ou non, fonde le conservatisme de tous, le faible attrait de l'entreprenariat, les valeurs professionnelles refuge ; elle justifie l'importance accordée à la conquête d'un statut à tout prix. Tout est mis en place pour la préparation des concours, alors que bien peu prépare à la création d'entreprise. La peur n'est certes pas une notion sociologique, pourtant, à lire cet ouvrage, on perçoit qu'elle mériterait d'être consituée comme telle, tant elle colore l'ensemble des comportements sociaux et culturels, familiaux et personnels (stratégies à long terme : scolaires, résidentielles, matrimoniales, stratégies d'accumulation de capital social, culturel, etc.). L'investissement des familles pour maintenir leur rang à travers les générations excerbe les fractures sociales, l'individualisme, le séparatisme scolaire, résidentiel, la résistance à la mixité sociale et spatiale (tout cela étant indicible, notamment dans les enquêtes déclaratives).

Cet ouvrage demande à être discuté, à être confronté à d'autres travaux sur la crise. ll aidera à mieux comprendre le bouleversement en cours dans les consommations et dans les usages des médias. Surtout il peut conduire à reconsidérer les catégories de description des changements sociaux, à mieux prendre en compte le statut des personnes dans la description sociale puisque "la peur du déclassement est la passion des sociétés à statut" (p. 8). Cette variable est sans doute discriminante mais, pour être opérationnelle, elle devra être encore mieux décrite, plus complètement ; on pense aux travaux de Max Weber sur les "groupes de statut", de Ralph Linton (The Cultural Background of Personality, 1947) ou même de Vance Packard sur la recherche du statut aux Etats-Unis (The Status Seekers, 1959). Elle pourrait être prise en compte indirectement pour mieux assurer la représentativité des échantillons par quota (au moyen de la mobilité sociale). Comment se traduit-elle dans le discours publicitaire et sa sémiologie ?
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vendredi 23 octobre 2009

Mein Kampf, l'introuvable best seller... retrouvé


Antoine Vitkine, Mein Kampf, histoire d’un livre, Paris, Flammarion, 2013, 332 p.

Mein Kampf ("Mon combat", 1925-1926 pour la première édition), l'ouvrage de Adolf Hitler a été publié à des millions d'exemplaires ; Hitler s'est enrichi grâce à ses droits d'auteur en Allemagne.
Son éditeur autrichien réussit à faire interdire la traduction de l'ouvrage (effectuée par des antinazis) et sa distribution au grand public, en France ainsi qu'en Grande-Bretagne. En effet, saisis par les nazis, les tribunaux français donnèrent raison à Hitler (1934), servant ainsi la politique délibérée du chancelier nouvellement élu : ne pas ébruiter les intentions criminelles et expansionnistes énoncées sans détour dans son livre, ne pas faire connaître sa francophobie délirante. Les tribunaux français ont de facto contribué à la sous-estimation du danger nazi. Lucidité de l'époque qui culminera avec le soutien du Parti communiste au pacte germano-soviétique puis avec la collaboration pétainiste. Finalement, le livre sera publié en sous-main, et diffusé discrètement. Une association de lutte contre l'antismémitisme (la LICA, future LICRA) finança en partie la traduction : la vérité est toujours bonne à dire.

En mai 2008, ARTE a diffusé une émission sur Mein Kampf  ("Cétait écrit"). L'ouvrage correspondant à cette émission est publié. Passionnant ; parfois lent et qui fait sentir combien il est difficile encore de parler du nazisme, et de ses composantes surtout lorsqu'elles affectent l'histoire française.
En 2006, fut publié en allemand un imposant travail de recherche historique sur le livre de Hitler (Othmar Plöckinger, Geschichte eines Buches: Adolf Hitlers Mein Kampf 1922-1945, 632 pages, avec index et bibliographie).
Le Point - Grand Angle, nouveau titre lancé en septembre 2009, consacre son premier numéro à Hitler. L'angle de la publication est indiqué en couverture : Hitler est un "monstre". Cette monstruosité arrange tout le monde, Hitler et le nazisme sont rejetés dans l'anormal, l'improbable, l'imprévisible, ce qui ne se reproduira pas. Donc il n'y a pas de responsabilité : l'imprévoyance est compréhensible. La collaboration aussi, bien sûr.

La thèse contraire soutient que Hitler, c'est la banalité du mal ("banality of evil", Hannah Arendt), sa logique-même (Emmanuel Lévinas, 1934) : "Plus qu'une contagion ou une folie, l'hitlérisme est un réveil des sentiments élémentaires... [Il] met en question les principes mêmes d'une civilisation". Ces diagnostics terrifiants appellent à la vigilance pour déraciner le mal dès les premiers symptômes ! Dans cette optique, l'histoire de Mein Kampf est un cas qui invite à réfléchir.

Mein Kampf reste un best seller mondial. Il aurait toujours, selon Antoine Vitkine, un succès considérable en Inde, dans le monde arabe, en Turquie... Mais il reste introuvable en allemand, car l'Etat autrichien (qui eut récemment des sympathisants nazis au gouvernement et les protège toujours ;  veille jalousement (cf. L'Express). On recommence !

En français, on peut trouver le fac similé de la première édition avec une page de mise en garde, conformément à la loi, publié par les Nouvelles Editions Latines.
Qui a peur d'un livre ? Faut-il avoir peur d'un livre ? Faut-il s'inquiéter d'avoir peur d'un livre ?
En janvier 2016, Mein Kampf est tombé dans le domaine public : histoire à suivre.

Suite (mise à jour, été 2016)
En janvier 2016, paraît en allemand une édition critique de Mein Kampf : deux gros volumes, près de 2000 pages, des milliers d'annotations (description de l'édition).
Non sans difficulté, j'ai réussi à l'acheter, et j'ai pu le feuilleter, le parcourir... Prix et volume dissuasifs !

Ouvrages évoqués
Mein Kampf. Eine kritische Edition Herausgegeben im Auftrag des Instituts für Zeitgeschichte, München – Berlin, von Christian Hartmann, Thomas Vordermayer, Othmar Plöckinger, Roman Töppel Unter Mitarbeit von Pascal Trees, Angelika Reizle, Martina Seewald-Mooser, 1948 Seiten mit farbigen Abbildungen, 2 Bände, 59 €

Lévinas (E), La philosophie de l'hitlérisme, 1934
Arendt (H), Eichmann in Jerusalem. A Report On the Banality of Evil, 1963
Plöckinger (Othmar), Geschichte eines Buches: Adolf Hitlers Mein Kampf 1922-1945, 632 pages, avec index et bibliographie.
Voir aussi la recension de Mein Kampf par George Orwell, en mars 1940 (ici)


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lundi 12 octobre 2009

Le livre des livres brûlés par les nazis

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Volker Weidermann, Das Buch der verbrannten Bücher, 2008, Verlag Kiepenheuer und Witsch, Köln (254 p., 2009 en livre de poche, btb Verlag), 12,1 €

Le 10 mai 1933 à minuit, une association allemande d'étudiants ("Deutsche Studentschaft") organise à Berlin, Place de l'Opéra, un gigantesque bûcher de livres : on y brûle les livres qui propagent un "esprit non allemand" ("Aktion wider der undeutschen Geist"). L'événement est mis en scène de comme l'aiment les nazis : flammes du bûcher, annonces théâtrales des oeuvres à brûler, cris, saluts, uniformes, musique traditionnelle... Cette manifestation ne se déroule même pas à l'initiative de la propagande nazie, et ce n'en est que plus révélateur. D'ailleurs, il y aura peu de réactions hostile des étudiants ou des professeurs à l'université, aucune réaction hostile non plus dans les lycées où le "nettoyage" des bibliothèques avait déjà commencé. Les cadres nazis seront même surpris par la soudaineté et de la radicalité du mouvement. La presse grand public fut enthousiaste. Comme son lectorat. De nombreux autres bûchers de livres auront lieu ensuite en Allemagne puis en Autriche annexée, et la liste des livres à brûler sera régulièrement enrichie et mise à jour.

Volker Weidermann reprend la liste des 131 auteurs de la catégorie "belle littérature" dont les livres ont été mis au bûcher. Pour chacun des auteurs, Volker Weidermann donne des éléments biographiques, personnels et intellectuels, avant, pendant et après le nazisme. Cette liste comprend des grands noms de la littérature allemande contemporaine : Isaak Babel, Bertold Brecht, Heinrich Mann, Stefan Zweig, Kurt Tucholski, Erich Kästner, Joseph Roth, Alfred Döblin, Erich Maria Remarque... et quelques étrangers : Henri Barbusse, John Dos Passos, Ilia Ehrenburg, Jack London, Ernest Hemingway, Maxime Gorki... Thomas Mann, prix Nobel de littérature en 1929 n'est pas sur la liste, bien que anti-nazi virulent (sa nationalité allemande lui sera retirée en 1936).
La majorité des auteurs de livres "brûlés" nous sont aujourd'hui méconnus, leur carrière a été brisée. Ce travail d'historien met à jour les intentions et la méthode des nazis aidés de leurs sympathisants ; ils ne s'en tinrent pas seulement aux plus célèbres et aux plus visibles des auteurs car ils voulaient éradiquer profondément, faire disparaître des modes de pensée, des orientations culturelles, changer la langue même. Particulièrement visés et dénoncés à ce titre, les auteurs juifs et communistes. Les nazis cherchent à imposer en Allemagne leur définition de ce qui est allemand (deutsch / undeutsch).

La spécificité du livre comme média se dégage à cette occasion : en effet, les nazis ne bûlèrent pas la presse, ils la domestiquèrent. Et pour cause, celle-ci, dans sa majorité, s'était déjà ralliée et convertie au nazisme. Les livres représentent un capital culturel et symbolique, objectivé, achevé, ils s'inscrivent avec les bibliothèques dans la durée alors que les médias sont volatiles et aisément retournés par les pouvoirs dont ils sont souvent proches, par construction. Qu'est-ce qu'un autodafé à l'époque des e-books ?


Pour terminer, quoi de mieux que le texte dans lequel Bertold Brecht évoque un poète, Oskar Maria Graf. Celui-ci, parcourant la liste des 131 et n'y trouvant pas son nom, réclame dans un article publié alors par un journal de Vienne (Wiener Arbeiterzeitng) que ses livres aussi soient brûlés : "Verbrennt mich!" (Die Bücherverbrennung, in Deutsche Satiren, 1938). Et, bien sûr, la phrase prémonitoire de Heinrich Heine : "là où l'on brûle des livres, on finit pas brûler aussi des hommes" ("Dortwo man Bücher verbrennt, verbrennt man am Ende auch Menschen", Almansor, 1821). Cette phrase est aujourd'hui gravée sur une plaque près du monument sous-terrain érigé en souvenir des auteurs de tous ces livres brûlés, Place Bebel, à Berlin, monument représentant en creux, au milieu des pavés, une bibliothèque aux rayons vidés (cf. photo ci-dessous, FjM). 



N.B. La liste établie par les nazis fut scrupuleusement respectée dans la France occupée. Par exemple, en 1942, les éditions Gallimard refusèrent d'inclure le texte d'Albert Camus sur Kafka dans le Mythe de Sysiphe car Franz Kafka figurait sur la liste des "livres brûlés" (le manuscit de Camus est exposé - correctement légendé - à Yale University, à The Beinecke Rare Book and Manuscrit Library). Cette soumission de la vie "intellectuelle " française aux nazis est souvent "omise" : ainsi, le texte publié par l'université de Québec mentionne que l'édition numérique du Mythe de Sisyphe est "augmentée (sic) d'une étude sur Franz Kafka"... Quant à l'article sur Le Mythe de Sisyphe dans Wikipedia, il ne mentionne pas l'événement, tout simplement. 

Sur l'histoire des livres brûlés, voir :

Lucien X. Polastron, Livres en feu. Histoire de la destruction sans fin des bibliothèques, Paris, Denoël, Folio Essais, 2009, 544 p., Bibliogr., Index.

Gunter Lewy, Harmful and Undesirable. Book Censorship in Nazi Germany, Oxford University Press, 2016, 269 p., Index, Bibliogr. Liste des abréviations et glossaire. Cf. in Mediamediorum.

Voir aussi les textes d'Erich Kästner publiés dans Über das Verbrennen von Büchern (Zürich, Atrium Verlag, 2013, 51p.). L'auteur conclut qu'il aurait fallu combattre le nazisme dès 1928 ;  il faut combattre les dictatures et l'intolérance dans l'œuf , avant qu'elles ne prennent le pouvoir : après, il est trop tard. "Man darf nicht warten...". Mais Erich Kästner resta dans l'Allemagne nazie où il bénéficia du soutient de Joseph Goebbels...
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dimanche 4 octobre 2009

Inside Larry and Sergey's Brain. Sur Google



Inside Larry and Sergey's Brain est un ouvrage de  Richard L. Brandt (Penguin Group, New York, 244 p., Index).
 Un livre de plus pour conter Google. Comme la plupart de ces ouvrages, il combine des éléments biographiques et des anecdotes rapportées par des collaborateurs à différents moments de l'histoire de Google. Rien de neuf dans ce livre pour ceux qui suivent les développements de Google. Pour les autres, une sorte de roman, un conte de fées, de facture agréable. Sans révélation, souvent édulcoré, déjà un peu dépassé (par exemple, sur les relations avec Apple, la téléphonie, Google wave, etc.). Méthode journalistique, intuitive, à base d'interviews (pas celles des fondateurs, que l'auteur n'a pas rencontrés), comme si d'une accumulation d'opinions et de faits dont on ne sait comment ils sont "faits" émergeait nécessairement quelque vérité. Au bout du conte, on ne sait donc ni ce que l'on sait, ni ce que l'on ignore... Mais l'on passe de bons moments tel celui de la préparation de documents pour l'entrée en bourse, par exemple, avec son canular eulerien : la valeur totale anticipée des actions vendues est estimée à 2,717 281 828 $, soit les 9 premières décimales de !



Difficile de tenir la promesse du titre : le cerveau de Google nous échappe ! On ne sait pas, en refermant le livre, comment pensent les fondateurs de Google. A coup sûr, ils pensent, et ils pensent (encore ?) autrement. De plus, ils pensent ensemble, et tout seuls. Chemin faisant, d'anecdotes en opinions, on comprend mieux leur originalité première, leur différence : culture de rigueur, obsession des faits, de l'analyse, de l'utilisateur. On perçoit surtout ce qu'il leur aura fallu de détermination pour résister, partiellement, à la machinerie financière qui accompagne la métamorphose parfois kafkaienne des entreprises naissantes en sociétés cotées, machinerie propre à décerveler des startups. On entrevoit aussi la puissance tentaculaire des forces de conservation : par exemple, les opérateurs de téléphonie avec leurs troupes de lobbyistes campant dans les couloirs de l'administration à Washington D.C., prêts à tous les coups (coûts) pour que rien ne change. L'idéalisme de Larry Page et Sergey Brin, et leurs erreurs - selon l'auteur - n'en paraissent que plus sympathiques et le succès de Google plus miraculeux. Et, du coup, on perd de vue des questions éludées, les fameux "blancs" de ce "discours lacunaire". D'abord, ls questions des effets à long terme, sur les cultures et sur les langues, de l'uniformisante googlisation des outils de travail intellectuel (par exemple, on n'a pas élucidé la résistance à Google des moteurs de recherche comme Yandex en Russie et Baidu en Chine. Résistance culturelle, langagière ? Cf. notre post sur Baidu et l'exception culturelle). Puis la question du pilotage d'une entreprise ayant une telle importance mondiale : la politique de Google doit-elle se faire "à la corbeille" (NASDAQ), peut-elle ne dépendre que d'actionnaires qui sont, par construction sinon par culture, insoucieux de l'intérêt général et du long terme ? La mondialisation que propagent les technologies numériques soulève des problèmes de politique internationale.

A la dernière page, en tant que consommateur d'information, on se dit que Google est ce qui est arrivé de mieux aux médias américains, depuis longtemps. Mais le Google dont on rêve alors est une entreprise de rêveurs, d'inventeurs, entreprise généreuse et enthousiaste. Depuis notre Europe périphérique - c'est si loin Stanford - douze ans après, on risque de ne retenir de cette histoire, une fois désenchantée, que l'habituel "calcul égoïste", l'habituelle langue de bois, les habituelles RP, les licenciements, les abdications, comme ailleurs... Et l'on s'éveille de son rêve. Rêve, le mot clef de notre lien à Google. Ce rêve de Google qui se manifeste "comme une réalisation de notre souhait (ou désir)" d'entreprise ("als eine Wunscherfüllung", Freud).
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dimanche 20 septembre 2009

Les langues comme destins


Dans The Writer as a Migrant, l'auteur traite en trois brefs essais de l'abandon de leur langue maternelle par quelques grands romanciers. Sont évoqués ceux qui ont délaissé leur langue maternelle pour écrire de la fiction en anglais : Joseph Conrad, dont la langue maternelle était le polonais, Vladimir Nabokov (le russe), Lin Yutang (le chinois). Il s'agit seulement d'illustrations, sans volonté de démonstration socio-linguistique, stylistique ou autre ; d'ailleurs, l'échantillon et les combinaisons linguistiques traitées sont restreints.
Mise à jour 7 octobre 2012

L'auteur, Ha Jin, lui-même sinophone émigré aux Etats-Unis, écrit en anglais. Il évoque la difficulté radicale, même chez de tels romanciers, à maîtriser l'anglais. Cette difficulté se traduit par l'expression impossible de l'humour et un sentiment constant d'insécurité linguistique, entre autres. Cf. Nabokov : "My complete switch from Russian to English was extremely painful - like learning anew to handle things after losing seven or eight fingers in an explosion" (cité p. 48 par Ha Jin).
Ha Jin relève aussi les contreparties positives de cette situation linguistique sur le style des romans écrits en anglais par ces auteurs non-anglophones : paradoxalement, les contraintes qu'impose le handicap linguistique contribuent à forger un style original qui peut séduire les lecteurs anglophones.
Ainsi, même pour de grands romanciers, la langue seconde reste, malgré tout, langue étrangère, obstinément, définitivement. Et leur anglais est original, une sorte de maximisation narrative sous contraintes comme l'impose tout genre littéraire.

Un autre exemple, riche, plus complexe, serait celui d'Emmanuel Levinas dont le français, si précis, si élégant, semble une résultante du russe, de l'hébreu, de l'allemand (cf. la Préface générale de Jean-Luc Marion aux Oeuvres complètes, tome 1, p. 11). Mais il manque une étude stylistique qui démonterait, montrerait ce "français d'écrivain". Un même travail pourrait être effectué pour Elsa Triolet qui écrivit d'abord dans sa langue maternelle, le russe, puis en français.
Ces situations linguistiques présentent quelque analogie avec ce qu'a vécu Hannah Arendt qui a publié en allemand et en anglais des ouvrages de philosophie et de science politique. Germanophone qui émigra d'Allemagne en France puis aux Etats-Unis pour échapper aux nazis, elle répondit à un journaliste qui lui demandait ce qui lui était resté après toutes ces péripéties : "Ce qui est resté ? Est restée la langue maternelle" ("Was ist geblieben? Geblieben ist die Muttersprache" - Hannah Arendt im Gespräch mit Günter Gaus, 28 octobre 1964). Et d'avouer, elle qui travailla en français, écrivit et vécut en américain, que le sentiment de la distance à l'égard du français et même de l'anglais ne l'a jamais quitté. Conclusion : "Es gibt keinen Ersatz für die Muttersprache" ("il n'y a pas de remplacement [Ersatz] à la langue maternelle"). Traductions "mot à mot", délibérément (FM). Notre langue maternelle est notre destin, elle nous entraîne et nous nous y livrons en "aveugle".
Alors que le bavardage, souvent irénique, sur la mondialisation de la communication va bon train, ces essais invitent à percevoir des limites invisibles à cette internationalisation et les inégalités, les dyssymétries qu'elle engendre dans la communication. Dissymétries que l'on (se) dissimule. Illusions aussi, sans doute indispensables.

La question de la langue est omniprésente dans les médias. Le numérique la généralise
  • Tout média mobilise une ou plusieurs langues ; la langue serait le média ultime, média du "média des médias" (sorte de double génitif, en cascade). 
  • Les produits multilingues se multiplient, sites Web et applis, téléphonie, magazines, chaînes de télévision, cinéma, DVD (doublage, sous-titrage), jeux vidéo... modifiant l'économie des consommations et le fonctionnement du marché culturel. 
  • Le Web livre à profusion des outils de traduction réducteurs, plus ou moins trompeurs, générateurs d'illusions rassurantes quant aux barrières linguistiques. Le numérique révolutionne les outils langagiers et donne de nouvelles assises au débat sur la langue et les politiques linguistiques (donc éducatives). 
  • Dans le travail publicitaire, européen ou mondial, les compétences langagières avantagent outrageusement les anglophones (native speakers). Jusqu'au C.V. inclus, presque tout le monde fait semblant d'être à l'aise avec l'anglais : qui oserait déclarer ne pas l'être ! Mais après... La publicité, comme l'école, se laissent aller sans vergogne à l'anglais, mais elles ont peut-être déjà une langue de retard. L'allemand est la première langue maternelle de l'Europe, l'arabe celle de la Méditerranée, et le chinois est la première langue des internautes. Tout cela promet bien des suprises.
  • Une partie croissante de la population mondiale, clientèle potentielle des médias, vit dans une seconde langue, celle de son "pays d'accueil". Cette situation affecte les médias et tout particulièrement les études médias. Dans quelle langue doit-on conduire les enquêtes ? Aux Etats-Unis, de nombreuses enquêtes laissent le choix à l'enquêté : espagnol ou américain ? C'est le cas des enquêtes nationale et locales sur l'audience de la télévision, de radio conduites par Nielsen et Arbitron. 
  • La langue est souvent une variable de ciblage (celle correspondant à l'adresse IP, à la configuration de l'appareil), mais ce n'est pas si simple. Le choix de la langue est un comportement média.
  • Médias bilingues qui laissent le choix de la langue, comme ARTE (allemand ou français), ou de la V.O. avec sous-titrage. Il existe en France plus de 400 titres de presse plus ou moins bilingues, avec l'anglais, en majorité, mais aussi l'arabe, le chinois, des langues "régionales" (alsacien, basque, breton, corse), etc. Source : Base MM (octobre 2012).
N.B. 
  • Voir : les networks hispanophones aux Etats-Unis
  • Paul Valéry note le mauvais anglais de Joseph Conrad : "Etre un grand écrivain dans une langue que l'on parle si mal est chose rare et éminemment originale", Souvenirs et réflexions, Edition établie par Michel Jarrety, Paris, Bartillat, 2010 
  • Sur la place et le statut de la langue maternelle comme destin, signalons un ouvrage d'entretiens avec des germanophones émigrés en Israël ("Jeckes") dont le titre évoque Hannah Arendt : Salean A. Maiwald, Aber die Sprache bleibt. Begegnungen mit deutschstämmigen Juden in Israel, Berlin Karin Kramer Verlag, 2009, 200 p. Index
  • Signalons aux germanophones, un article drôle de Yoko Tawada, japonaise écrivant en allemand, publié dans le Neuen Züricher Zeitung Folio (février 2009) : "Von der Muttersprache zur Sprachmutter".