Benoît Rayski, L'Affiche Rouge, Paris, Denoël, 2009, 160 p.
Tout média peut servir le pire. Aucun média n'a de relation privilégiée à la liberté et à la justice. La radio servit magistralement les nazis (Göbbelsschnauze, Volksempfänger) et la télévision fit de son mieux (cf. la télévision française et les nazis). L'affichage a joué pleinement son rôle dans l'établissement et l'acceptation du gouvernement français de collaboration avec les nazis.
Ce livre est consacré à l'affiche qui fut placée sur les murs de la France pétainiste lors de la condamnation à mort, par un tribunal nazi, de 23 résistants des FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisans. Main d'Oeuvre Immigrée) du réseau Manouchian arrêtés par la police parisienne. 22 furent fusillés le 21 février 1944, l'une fut décapitée trois mois plus tard dans une prison de Stuttgart. Beaucoup venaient d'Europe de l'Est (Arménie, Hongrie, Pologne, Roumanie), certains d'Italie, un d'Espagne et trois de France) ; beaucoup avaient à peine une vingtaine d'années, ils avaient participé aux combats des Brigades Internationales en Espagne, ils avaient échappé à la rafle du Vél d'Hiv, certains avaient lutté contre les fascistes de Mussolini. L'honneur de l'Europe.
L'affiche de propagande nazie, au fond rouge sang, devait justifier leur condamnation aux yeux de la population. Cette affiche était la pièce centrale d'un plan de communication pluri-média élaboré par le gouvernement français deVichy (Propaganda Abteilung et Ministère de l'information) : aux 15 000 affiches, s'ajoutaient des tracts et un film pour les actualités cinématographiques.
"L'affiche rouge" prétendait dénoncer des criminels, elle en fit des héros de la Résistance à l'oppression, sans autres racines que la liberté et la générosité. Paul Eluard, puis Louis Aragon, du symbole retourné, firent deux poèmes ; celui d'Aragon (mis en musique et chanté par Léo Ferré), inspiré par la lettre de Missak Manouchian à sa femme, Mélinée, est devenu hymne à la justice, à la vie. "Communistes, juifs, rouges, étrangers", disait l'affiche : "nos frères", répondit le poète. Il y a une rue Missak Manouchian dans le XXème à Paris, une plaque dans le XIème, une autre dans le XIVème, un parc à Evry. C'est encore bien peu quand on compte le nombre de plaques commémorant les sabreurs de toutes époques.
L'auteur parcourt avec émotion l'histoire des condamnés, énonce les faits, explique. Tout commentaire est superflu. Admiration, honte. Difficulté d'un commentaire média.
Pourtant, il s'agit bien de média.
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Mise à jour, 15 février 2014
70 ans plus tard l'Affiche rouge est à la une d'un hors série de L'Humanité, avec poster reproduisant l'affiche et le poème d'Aragon (février 2014).
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