jeudi 26 novembre 2009

Unfriend me not! Follow me!

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Each media brings to life unexpected practices, and the words to enunciate them.
"Unfriend" is the American English "word of the year" according to Oxford University Press (USA). Facebook makes our life richer more with words than with friends. Facebook makes it as easy to unfriend... as to friend someone. Friends become a currency and Facebook a marketplace ("friends" for sale!).
Facebook is inflationist. A "friend" "follows", and maybe will "un-follow"! Followers are now everywhere, nolens volens... sometimes called subscribers. How to un-follow, un-subscribe?
Unfriend looks like a useful word, even beyond Facebook circles. According to lexicographers, it holds a lot of lex-appeal!
Why "unfriend" and not "defriend" (as in latin deficere / deficit)? Unfriend is neutral, in that there has never been friendship between the two parties. The opposite of befriend (befriend is an old transitive verb, 1559 according to Merriam-Webster) would be defriend, to get rid of a Facebook "friend".
Other words were considered as potential "word of the year" candidates. I like the portmanteau word "intexticated", sending and receiving texts -SMS- even while driving.

In order to test the innovative force of a verb, translate it. Not so simple, is it?! Because American business still dominates the online market, American English leads the way when it comes to linguistic creation. So are Chinese, French, German, Spanish speakers to use the American word? Translators, interpreters, help!
Come to think of it, do these languages have the same kind of popularity contest? We have mentioned the German contest in a previous post. What is the Chinese word of the year?

November 2013
I came across a comment on the translation of the German word "Verfreundung" created by the German poet Paul Celan : the word is in between "Anfreundung" (becoming friends) and "Verfremdung" (becoming strangers). The prefix ver often connotes loss. The author suggests a French translation: "dés-amitié" like "désaccord" (there is also a word "désamour" and a verb "désaimer").
cf. Brigitta Eisenreich avec Bertrand Badiou, L'étoile de craie, Paris, Edition du Seuil, 2013, p. 207).

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mercredi 18 novembre 2009

L'Affiche Rouge : un plan média collabo

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Benoît Rayski, L'Affiche Rouge, Paris, Denoël, 2009, 160 p.

Tout média peut servir le pire. Aucun média n'a de relation privilégiée à la liberté et à la justice. La radio servit magistralement les nazis (Göbbelsschnauze, Volksempfängeret la télévision fit de son mieux (cf. la télévision française et les nazis). L'affichage a joué pleinement son rôle dans l'établissement et l'acceptation du gouvernement français de collaboration avec les nazis.

Ce livre est consacré à l'affiche qui fut placée sur les murs de la France pétainiste lors de la condamnation à mort, par un tribunal nazi, de 23 résistants des FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisans. Main d'Oeuvre Immigrée) du réseau Manouchian arrêtés par la police parisienne. 22 furent fusillés le 21 février 1944, l'une fut décapitée trois mois plus tard dans une prison de Stuttgart. Beaucoup venaient d'Europe de l'Est (Arménie, Hongrie, Pologne, Roumanie), certains d'Italie, un d'Espagne et trois de France) ; beaucoup avaient à peine une vingtaine d'années, ils avaient participé aux combats des Brigades Internationales en Espagne, ils avaient échappé à la rafle du Vél d'Hiv, certains avaient lutté contre les fascistes de Mussolini. L'honneur de l'Europe.

L'affiche de propagande nazie, au fond rouge sang, devait justifier leur condamnation aux yeux de la population. Cette affiche était la pièce centrale d'un plan de communication pluri-média élaboré par le gouvernement français deVichy (Propaganda Abteilung et Ministère de l'information) : aux 15 000 affiches, s'ajoutaient des tracts et un film pour les actualités cinématographiques.

"L'affiche rouge" prétendait dénoncer des criminels, elle en fit des héros de la Résistance à l'oppression, sans autres racines que la liberté et la générosité. Paul Eluard, puis Louis Aragon, du symbole retourné, firent deux poèmes ; celui d'Aragon (mis en musique et chanté par Léo Ferré), inspiré par la lettre de Missak Manouchian à sa femme, Mélinée, est devenu hymne à la justice, à la vie. "Communistes, juifs, rouges, étrangers", disait l'affiche : "nos frères", répondit le poète. Il y a une rue Missak Manouchian dans le XXème à Paris, une plaque dans le XIème, une autre dans le XIVème, un parc à Evry. C'est encore bien peu quand on compte le nombre de plaques commémorant les sabreurs de toutes époques.

L'auteur parcourt avec émotion l'histoire des condamnés, énonce les faits, explique. Tout commentaire est superflu. Admiration, honte. Difficulté d'un commentaire média.
Pourtant, il s'agit bien de média.

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Mise à jour, 15 février 2014
70 ans plus tard l'Affiche rouge est à la une d'un hors série de L'Humanité, avec poster reproduisant l'affiche et le poème d'Aragon (février 2014).

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lundi 9 novembre 2009

Berlin, tourisme politique et pseudo-événement

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Pour quelques jours, le mur de Berlin occupe tout le terrain des médias. Marronnier décennal. Partout le Mur à la une, à la télé, à la radio, dans la presse... "Le Mur de la honte" ("die Mauer der Schande"), c'est son nom, que l'on n'entend guère : "honte" de l'avoir laissé construire, honte de l'avoir accepté, et parfois même revendiqué. Déshonneur de l'Europe que tant de célébrations n'effacent pas.
Berlin überall ! Radio France (secteur public) aurait envoyé 180 personnes pour couvrir de toutes ses chaînes ce "pseudo-événement" : le vingtième anniversaire d'un événement. Tourisme politique et peoplisation.
Pendant ce temps, en France, on n'enseigne plus guère l'allemand. Combien de journalistes pour en parler ?

Parmi les "pseudo événements" à venir : "the turn-of-decade project" de la chaîne de télévision américaine CBS. Et, bien sûr, le cinquantième anniversaire de la construction du Mur, le 13 août 2011.
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samedi 7 novembre 2009

Création et récréation lexicales


Comment évolue la langue sous les coups des jeunes générations ? Elle est affectée par les technologies populaires et récentes, par les préoccupations d'un âge et d'une époque. Langue de la jeunesse, jeunesse de la langue ? Les lexicographes écument les usages langagiers pour intégrer dans leur liste les créations lexicales et justifier ainsi de nouvelles éditions.
Langenscheidt (éditeur allemand de dictionnaires) et myspace parrainent le site Jugendwort.de qui recense les nouveaux mots élus, par les jeunes allemands, "mots de l'année". Quelques uns des mots et expressions répertoriés :
  • lollig : lol, le fameux "laughing out loud" donne un adjectif allemand qui à son tour donne un substantif : "die Lolle"
  • Bildschirmbraüne : bronzé comme un écran d'ordinateur, vise les personnes passant trop de temps sur leur ordinateur,Geeks
  • Ein Jambalaner : quelqu'un dont la sonnerie de téléphone exaspère les proches ; d'après le nom d'un site de sonneries, Jamba! qui, en Allemagne, a inondé de sa publicité les écrans de chaînes musicales comme MTV et VIVA (dont un message satirique controversé mettant en scène Hitler dans ses toilettes, 4 millions de téléchargements sur YouTube).
  • Hartz-IV TV : émissions de télévision médiocres diffusées l'après-midi (Hartz est le nom d'un parlementaire qui donna son nom à un ensemble de textes législatifs sur l'indemnisation du chômage voté entre 2002 et 2005...)
  • eine Gehirnkrücke : mot à mot, béquille pour le cerveau, désigne les outils numériques portables (téléphone, calculette, etc.)
  • Ego-Deko : tattoo, piercing, maquillage pour la mise en scène de soi
Cruauté, humour et surtout très mauvais goût - selon le goûts des plus âgés -, beaucup de ces expressions font délibérément vulgaire. Obnubilé par la sexualité, les manifestations du corps, ce lexique provoquant de démarcation générationnelle, déjà presque récupéré, se veut signe d'appartenance (indistinction) et de distinction. Tout écart lexical est positionnement. Ces mots vont viellir avec leur génération, se démoder comme les musiques, les pantalons et les coupes de cheveux. "Jeune homme qu'est-ce que tu crains / Tu vieilliras vaille que vaille...", prévenait Louis Aragon.

"Hä?? Jugendsprache", "langue de la jeunesse", un petit dictionnaire de ces mots et expressions est publié (4 €) par l'éditeur allemand Langenscheidt en cinq langues (allemand, anglais/américain, espagnol, français, italien).

Que faire de ces mots quand on travaille avec pour matière première les mots que les internautes utilisent pour rechercher un produit, un document ? Comment les prendre en compte pour mettre en place un marketing comportemental bien équilibré ? Ces mots énoncent une génération, un rapport plus ou moins détendu à la langue et aux registres de langue, donc une fraction de classe sociale. Ils sont matière à distinction, connotant plutôt que dénotant, jouant aussi de l'hypo-correction. Relevant donc d'une approche sémantique plutôt que lexicale.
Peut-on - et comment - prendre aux mots une génération, une fraction de classe sociale à ses propre mots ?
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lundi 2 novembre 2009

La peur du déclassement

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Eric Maurin, La peur du déclassement. Une sociologie des récessions, Editions du Seuil, 2009, 95 p.

Nos systèmes explicatifs, nos outils de ciblages manipulent des classes et groupes d'appartenance et de référence, sous la forme simplifiée, plus ou moins détaillée de catégories socio-professionnelles (PCS) produites et mises à jour régulièrement par l'INSEE. Commodes, ces catégories sont toutefois réductrices, sans dimension temporelle ; sauf travaux spécifiques, elles laissent échapper la mobilité sociale inter et intra-générationnelle, le changement social en cours et surtout la conscience plus ou moins lucide qu'en ont les acteurs. Or cette conscience des classes affecte les comportements et la résistance aux changements sous la forme d'anticipations plus ou moins rationnelles, d'attitudes et d'opinions.

Eric Maurin analyse un phénomène psycho-sociologique, la peur du déclassement, et le confronte à la réalité telle que la construisent les transformations des classes d'appartenance sous l'effet des politiques économiques, depuis 1945. En étudiant la situation française, il met en évidence les spécificités de l'organisation économique à la française à partir de ses données d'emploi et du droit du travail qui traduit les rapports de forces : puissance du secteur public, rôle du statut socio-économique, spécificité du système scolaire et universitaire. Diagnostic principal :  la société française est une "société à statut".

De l'histoire économique et sociale qu'il décortique émergent des notions que l'analyse des médias pourrait prendre en compte avec profit. Par exemple, l'auteur souligne l'enjeu croissant de la compétition scolaire qui "mine les familles" (p. 57) et pèse sur les épaules des enfants. Chiffres à l'appui, il démontre que seule l'école est "libératrice" et que le diplôme constitue la meileure protection contre le chômage et les emplois déqualifiants. Mais plus l'école se démocratise et plus la compétition scolaire est féroce, et plus les moyens extra-scolaires de réussite scolaire sont valorisés, à tort ou à raison. Il n'y a là aucun paradoxe ; Les Héritiers et La Reproduction (Bourdieu et Passeron) restent actuels. Ceci s'observe dans le foisonnement de médias de "bonne volonté culturelle" (presse pour enfants, pour parents d'élèves), dans l'interrogation sur le rôle d'Internet dans la compétition scolaire où sont plongés les enfants dès la maternelle, dans la lancinante dénonciation de la télévision des enfants, des jeux vidéo, etc.


Dans une société de mise en concurrence généralisée, la peur du déclassement, justifiée ou non, fonde le conservatisme de tous, le faible attrait de l'entreprenariat, les valeurs professionnelles refuge ; elle justifie l'importance accordée à la conquête d'un statut à tout prix. Tout est mis en place pour la préparation des concours, alors que bien peu prépare à la création d'entreprise. La peur n'est certes pas une notion sociologique, pourtant, à lire cet ouvrage, on perçoit qu'elle mériterait d'être consituée comme telle, tant elle colore l'ensemble des comportements sociaux et culturels, familiaux et personnels (stratégies à long terme : scolaires, résidentielles, matrimoniales, stratégies d'accumulation de capital social, culturel, etc.). L'investissement des familles pour maintenir leur rang à travers les générations excerbe les fractures sociales, l'individualisme, le séparatisme scolaire, résidentiel, la résistance à la mixité sociale et spatiale (tout cela étant indicible, notamment dans les enquêtes déclaratives).

Cet ouvrage demande à être discuté, à être confronté à d'autres travaux sur la crise. ll aidera à mieux comprendre le bouleversement en cours dans les consommations et dans les usages des médias. Surtout il peut conduire à reconsidérer les catégories de description des changements sociaux, à mieux prendre en compte le statut des personnes dans la description sociale puisque "la peur du déclassement est la passion des sociétés à statut" (p. 8). Cette variable est sans doute discriminante mais, pour être opérationnelle, elle devra être encore mieux décrite, plus complètement ; on pense aux travaux de Max Weber sur les "groupes de statut", de Ralph Linton (The Cultural Background of Personality, 1947) ou même de Vance Packard sur la recherche du statut aux Etats-Unis (The Status Seekers, 1959). Elle pourrait être prise en compte indirectement pour mieux assurer la représentativité des échantillons par quota (au moyen de la mobilité sociale). Comment se traduit-elle dans le discours publicitaire et sa sémiologie ?
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