lundi 24 juin 2013

Visualisation des données temporelles

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Daniel Rosenberg, Anthony Grafton, Cartographies of Time. A History of the Timeline, Princeton Architectural Press, New York, 2010, Bibliogr., Index, 272 p., 35 $.
Publié et traduit en français aux éditions Eyrolles, Paris 2013, 42 €.

Réduire le temps à de l'espace, telle est la tâche des cartographies que cet ouvrage passe en revue. Les calendriers permettent de comparer les durées, de résumer des époques, établir des synchronies, systématiser des règnes sous l'angle fiscal, démographique, généalogique... Atlas historiques, tableaux (charts), listes, rouleaux, cartes, disques (cf. discus chronologicus, p. 105), autant d'outils et de technologies de communication visuelle conçus à partir de données de toutes sortes, notamment rangées selon l'ordre du temps et de la durée. Le journalisme a propagé ces représentations (data journalism), les manuels scolaires les avaient inculquées pour former nos habitudes visuelles, et partant, conceptuelles : ce que Windows a fait de nous et de nos raisonnements (cf. Powerpoint et Excel, notamment). La data visualization n'a pas fini d'y puiser qui s'essaie à renouveler nos manière de voir et présenter les données : autant de procédés didactique pour faire comprendre l'histoire, la causalité, les corrélations, situer les distances et les contemporanéités, et prédire.

Ce livre d'histoire de l'histoire fait voir ce que notre représentation, notre vision de l'histoire du monde a d'uniforme derrière son pittoresque, ce qu'elle doit à quelques techniques de visualisation : Theatrum historicum (selon un titre du XVIIème siècle, o.c. p. 79). Si les nombreuses illustrations des différentes "cartographies" nous semblent familières, sans doute est-ce parce que les techniques graphiques de repésentation du temps ont peu changé dans le temps malgré leur créativité et leurs étonnantes subtilités. Les travaux anthropologiques de Tim Ingold (cf. Lines, a brief history) et de Jack Goody sur la "domestication" de la "pensée sauvage" aideront à tirer profit de cette inventaire.

Déjà Bergson, qui insistait sur l'irréductible durée vécue, dénonçait la tendance à faire de l'espace avec du temps, à décomposer la continuité en moments successifs. "Notre conception ordinaire de la durée tient à une invasion graduelle de l'espace dans le domaine de la conscience pure" (cf. infra, o.c.). La "timeline", introduite dans la perception courante des vies adoptée par Facebook, met les vies en ligne, privilégiant la successivité sur la simultanéité. Elle se construit toute seule, isole des événements (actes sociaux, i.e. edge) sur fond de non-événements, créant des pseudo-événements pour remplir une timeline qui a nécessairement horreur du vide. A moins qu'elle ne réforme en la personnalisant la notion même d'événement.
Il en va ainsi du kantisme spontané de notre culture : non seulement le temps et l'espace sont des formes pures a priori de notre sensibilité, mais notre sensibilité interne (le temps) est souvent réduite à l'externe (l'espace). Qu'est-ce que l'histoire pour les jeunes usagers de Facebook, de quelle histoire sont-ils les sujets, les objets ? Invitation à (re)lire l'Essai sur les données immédiates de la conscience (Henri Bergson, 1888) : "on pourrait se demander si les difficultés insurmontables que certains problèmes philosophiques soulèvent ne viendraient pas de ce qu'on s'obstine à juxtaposer dans l'espace les phénomènes qui n'occupent point d'espace..."
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mardi 18 juin 2013

Les dimanches dans la vie

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Alain Cabantous, Le dimanche, une histoire. Europe occidentale (1600-1830), Seuil, 2013, 363 p.,

L'institution du dimanche est centrale dans la vie sociale des populations des sociétés occidentales ; elle rythme la vie économique et sociale et, bien sûr, la vie des médias : en témoignent les "Sunday Times", "Welt am Sonntag", "presse du septième jour", "Huma Dimanche" et autres "Télé Dimanche". Il n'est pas de média qui ne distingue et vende son audience du dimanche, qui ne s'adapte au dimanche (quitte à s'abstenir de paraître, comme le font les "quotidiens" gratuits).
Cet ouvrage couvre deux siècles de l'histoire européenne du dimanche, deux siècles qui précèdent et annoncent l'entrée dans une ère de plus en plus industrielle et laïque. Ce travail d'historien est méticuleusement documenté (80 p. de notes et une quinzaine de tableaux statistiques). Les pages consacrées à la culture matérielle de l'endimanchement (vêtements, cuisine. cf. p. 212 sq) sont malheuseusement trop brêves. Consacré à la famille, le dimanche est aussi un jour de cuisine et de bons desserts (cf. ci-dessous : "les classiques du dimanche)

Le dimanche s'est institué en Europe au cours des siècles d'hégémonie chrétienne. Cette institutionalisation ne fut pas aisée. Elle s'effectua contre la tradition juive du Shabbat que souhaitaient suivre certains chrétiens. Elle s'effectua aussi contre ceux qui revendiquaient l'égalité des jours de la semaine et notamment le droit de chacun à travailler à sa guise.
La Révolution française instaurera le "décadi" (1793-1805) à l'occasion d'une réflexion générale sur les mesures et sur le calendrier : il s'agissait alors de moderniser, rationaliser et laïciser le calendrier grégorien et la mesure de la durée. Le décadi ne dura pas. Paradoxalement, les régimes républicains, dont la séparation des institutions religieuses et de l'Etat est constitutive, ont maintenu l'existence du dimanche, sauf la Commune qui revint au calendrier républicain. En revanche, la "civilisation" du commerce et des loisirs en a estompé la référence religieuse pour n'y laisser qu'un élément du "week-end".
Les législations ultérieures accorderont une place croissante à l'activité marchande dominicale (ouverture des magasins) et l'on peut aisément imaginer que rien ne stoppera l'érosion du dimanche, conformément à l'idée nouvelle que l'activité économique et l'activité médiatique ne doivent jamais s'interrompre.

Après un premier chapitre rappelant les luttes politiques, syndicales dont le "repos dominical" a été l'enjeu récemment (enjeu relancé en septembre 2013, cf. la Une de l'Humanité ci-contre), l'ouvrage d'Alain Cabantous est centré sur l'évolution du dimanche dans la vie sociale et religieuse chrétienne, catholique et protestante.
Alors que les autorités chrétiennes voulaient faire du dimanche le coeur de la vie religieuse, elles ont dû faire face à une forte inertie réduisant le dimanche à un jour de repos et de loisirs ; elles mèneront une bataille incessante contre l'absentéisme et les retards à la messe, les bavardages, les comportements irrespectueux à l'église et au temple. La concurrence des loisirs a toujours été forte, le premier de ces loisirs qui menaçait le dimanche pieux étant le cabaret, l'estaminet où les hommes vont "prostituer leur raison", viennent ensuite la socialisation et les discussions entre femmes (discussions toujours traitées avec condescendance, cf. p. 230), puis la danse pour les jeunes, voire même le besoin de travailler, le plaisir de bricoler, jardiner, etc.

Ainsi, l'enjeu du débat sur le dimanche, qui commença comme une question religieuse, s'élargira au cours du XIXème siècle, pour concerner finalement la vie familiale, la cité et la santé. Proudhon signe en 1839 un texte au titre emblématique, répondant à une question mise au concours par l'académie de Besançon : "De la célébration du dimanche considérée sous les rapports de l'hygiène publique, de la morale, des relations de famille et de cité". Laïcisé, le dimanche modifie son statut : jour de repos, de loisir, de vie familiale, il est d'abord le seul jour de la semaine qui ne soit pas "donné" au seigneur, au patron". C'est le début d'une revendication : "Versons // Le dimanche sur la semaine // Est-il sage de s'ennuyer six jours sur sept ?", revendiquait Victor Hugo. Dimanche, "jour du Seigneur" (du latin d'église dies dominicus d'où vient le mot "dimanche") donnera son nom, dès la fin des années 1940, à une émission de télévision retransmettant la messe catholique en direct, chaque dimanche matin. L'émission est diffusée par France 2 (10h30-12h).



*  Sur une vision mélancolique du dimanche, voir le roman de Jean de le Ville de Mirmont, Les dimanches de Jean Dezert, 1914, rédité à La Table Ronde en 2013, avec la Préface de François Mauriac.
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mercredi 5 juin 2013

La panoplie publicitaire de Facebook

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Alex Beckis, Facebook advertising. Profit With Facebook's New Promotional Tools. Reach and Engagement after EdgeRank, eswebstudio publication, Second Edition, May 2013, bibliogr. (Recommended Reading), $ 4,99 (ebook)

L'ouvrage revendique d'emblée une ambition didactique ; il s'adresse à ceux qui envisagent d'utiliser Facebook pour la promotion de leur marque, produit ou service. Dès la couverture (écran d'accueil), les mots clés sont avancés qui sont les atouts primordiaux qu'apporte Facebook à ses annonceurs : la couverture et l'engagement.
Cette édition récente fait minutieusement le point sur l'évolution du marketing avec Facebook. L'ensemble est exhaustif jusqu'à fin 2012.

La lecture linéaire et appliquée de cet ouvrage est édifiante : on perçoit bien vite que Facebook a changé l'échelle même des médias en introduisant, symboliquement, le milliard dans les audiences, les utilisateurs... Tout se passe comme si, dans le même mouvement, Facebook avait passé toutes les notions média à une puissance supérieure : l'affinité et le ciblage, par exemple mais aussi l'encombrement, et, l'accompagnant, l'ardente nécessité de choisir et de renoncer, donc de penser.
Travailler avec Facebook, c'est comme réapprendre les médias, tout reparcourir et moderniser, transposer des savoirs anciens pour les mettre à jour.

L'ouvrage commence par le EdgeRank, l'algorithme qui règle l'apparition des informations (les posts et les interactions avec les posts, dites "edges" dans le Newsfeed ;  son calcul agrège trois notions : le score d'affinité avec l'utilisateur (u), la pondération des interactions par Facebook (w), la récence (d, la fraîcheur, "time decay", l'usure du temps). Le EdgeRank est une somme pondérée des actions. La formule finale reste secrète ; d'ailleurs elle change souvent, s'apparentant en cela au PageRank de Google (inspirations communes). Les ingrédients majeurs de la formule indiquent ce que l'on peut faire pour améliorer un PageRank, pour former et améliorer une notoriété, sur quelles variables il faut intervenir.
Facebook advertising (o.c.)
Ensuite, l'ouvrage passe en revue les différents outils de promotion et de publicité, les outils spécifiques à la gestion publicitaire sur Facebook :
  • Facebook Offers qui assure la relation entre promo et points de vente (off- ou online) où l'on peut présenter ses coupons de réduction.
  • La capacité de composer une audience sur mesure ("custom audience") à partir de numéros de téléphone, d'adresses mail, etc. pour ensuite cloner cette audience ("lookalike audience" ou "similar audience") et l'optimiser en termes de couverture et de similarité.
  • Les Partner categories, qui jusqu'à présent ne sont disponibles qu'aux Etats-Unis, fournissent aux annonceurs des audiences pour 500 catégories de produits (achats réalisés, socio-démos).
  • Les outils de création (Facebook Ads Manager), de gestion des campagnes (Power Editor), la promotion (Promoted Posts) et le parrainage des "histoires", pour émerger de la multitude des actions (status updates)
  • L'offre publicitaire exclusivement mobile
  • Le calcul de la couverture
  • L'adexchange (FBX) est également abordé avec son système d'achat RTB, de ciblage et de reciblage
Au terme de cet inventaire, bien conduit et efficacement illustré, Facebook apparaît plus que jamais comme un réseau dans le réseau, un réseau en chantier permanent, nécessairement inachevé. Sa structure, son mode de fonctionnement reflètent ceux du Web global, en plus précis, en plus riche.