samedi 24 avril 2010

Newspaper Blackout. Poésie en noir et blancs

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Newspaper Blackout de Austin Kleon est un livre de poèmes.
L'art poétique de l'auteur consiste à prendre une page de journal sur le net, à l'imprimer puis à passer au marqueur noir tous les mots qu'il rejette ; le poème sera fait des mots épargnés, dans l'ordre de la mise en page du journal. La disposition spatiale des mots, leur police, l'espace entre les mots et groupes de mots contribuent à former l'image globale du poème. Les "blancs", qui font le silence du poème chez Mallarmé, sont ici en noir, qui ne connote pas le silence, plutôt le bruit. Le poème semble s'évader du bruit.

On retrouve là des intuitions à l'oeuvre dans les collages, dans les démarches dadaïstes et surréalistes d'écriture travaillant toutes sortes d'objets imprimés (journaux, affiches, enseignes, cartes postales, etc.). On se souvient des Manifestes Dada et de la recette pour la composition aléatoire d'un poème à partir des mots d'un article de journal (1920) : "Pour faire un poème dadaïste / Prenez un journal / Prenez des ciseaux", etc. On peut penser aussi aux écritures automatiques (Les Champs magnétiques de Breton et Soupault), au frottage de Max Ernst, aux mots collés de Herta Müller (Die Blassen Herren mit den Mokkatassen).

La technique est séduisante, le résultat est parfois drôle, parfois inattendu, et parfois la poésie est au rendez-vous. Reste aussi cette idée que les médias constituent une immense réserve de mots d'où peut faire éruption la poésie.

dimanche 18 avril 2010

Les médias de la collaboration avec les nazis

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Culture et médias sous l'Occupation. Des entreprises dans la France de Vichy, sous la direction de Agnès Callu, Patrick Eveno et Hervé Joly. Editions du CTHS, Paris, 2009, 398 p. (pas d'index, hélas !).

Ouvrage d'historiens spécialistes d'une période avec laquelle la culture politique française est mal à l'aise.
  • Histoire décomposée : le métier d'historien conduit à isoler les mutiples dimensions de la collaboration avec le nazisme. Cette décomposition, sorte de mise en silos bien séparés, si elle est techniquement nécessaire, tant pour la recherche que pour l'exposition, ne doit toutefois pas faire oublier que le fonctionnement de la radio, l'enrichissement des patrons de presse, le music-hall qui battait son plein, les théâtres jouant à guichets fermés sont indissociables de la torture qui se pratiquait à quelques rues de là, des trains de déportation, des rafles, des dénonciations et des camps à quelques centaines de kilomètres. Aussi, chacune des analyses de cet ouvrage devrait être précédée d'un signe rappelant que, en même temps... L'effet en serait plus juste et plus saisissant, le sens plus clair. L'ergonomie du livre papier ne le permet pas, le livre électronique le permettra sûrement.
  • Que reste-t-il de cette histoire, comme un refoulé, dans la culture des médias d'aujourd'hui ? Les auteurs n'abordent pas cette question, ce n'est pas leur métier. La question n'en reste pas moins ouverte... et la prise de conscience nécessaire.
De nombreux cas sont au sommaire de cet ouvrage collectif qui traite aussi des médias en France mais aussi en Allemagne nazie : les entreprises de presse (dont Bertelsmann), les éditions de livres et de disques, les galeries d'art, le cinéma (Pathé), la photographie, la SACEM, la radio, le spectacle (music-hall, Folies-Bergères, etc.), une étude sur la presse régionale à Bordeaux, etc. Diversité d'objets bienvenue pour dégager l'unité des comportements d'une France occupée à collaborer.

Retenons deux exemples parmi la vingtaine de cas traités dans l'ouvrage.
  • Le magazine illustré Signal (1940-1945), titre pan-européen déjà, avec photos et reportages, plurilingue, en couleur, qui diffuse à 800 000 exemplaires en France. Aurianne Cox s'attache à montrer l'efficacité de sa gestion et la modernité de son organisation qui a su se greffer sur l'organisation française (imprimerie, distribution). La modernité de la culture de gestion nazie est frappante, rappelant que la modernité, si aveuglément célébrée, est compatible avec les plus horribles systèmes politiques, qu'elle peut les renforcer et contribuer à leur succès. [Rappelons que le porte-parole de Ribbentrop, Paul Karl Schmidt (alias Paul Carell), qui dirigea Signal, collabora après guerre à divers grands titres de la presse allemande (Die Welt, Der Spiegel, Die Zeit, etc.) et, très étroitement, avec le groupe Axel Springer AG (cf. l'ouvrage de Wigbert Benz)].
  • Les médias constituaient un objectif stratégique pour l'armée allemande ; ils devaient participer au travail de dissimulation de la dominiation nazie, facilitant son acceptation. La collaboration culturelle fut importante, dans le domaine musical, littéraire, à la radio. Les vedettes de variétés (Maurice Chevalier, Tino Rossi, etc.) participeront à la radio nazie (Radio Paris). Charles Trenet, Mistinguette et Edith Piaf, bien payés, chanteront pour les ondes de Vichy. Giono et Sacha Guitry, Raimu, Simone de Beauvoir s'y font rémunérer. Et combien d'autres... ni leur carrière ni leur image n'en seront affectées après la guerre...
Sartre, qui fera jouer "Les Mouches" au théâtre en 1943, résumera la situation : "Me comprendra-t-on si je dis à la fois qu'elle [l'occupation] était à la fois intolérable et que nous nous en accommodions fort bien" (Situation III, cité p. 337).
De ces études méticuleuses, rigoureuses, il ressort que la collaboration, pour la majorité des médias, allait de soi et surtout sans dire. Il s'agissait de s'adapter au mieux, à tout prix, mais aussi de profiter, si possible, de la situation. D'ailleurs, après la défaite des nazis, beaucoup de ceux qui avaient fait tourner la machine médiatique de la collaboration ont gardé leur poste, comme si de rien n'était, rarement inquiètés. Et aux Folies Bergères, le public des militaires américains succéda sans transition aux militaires allemands. "Business as usual" aurait pu être la devise de la collaboration.
Livre désenchanteur.
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dimanche 11 avril 2010

Contre les statistiques ethniques ?

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Le titre de cet ouvrage, "Le Retour de la race" et son sous-titre ("Contre les statistiques ethniques") indiquent une prise de position hostile aux statistiques ethniques, identifiées comme un danger pour la société française. Une vingtaine de contributions sont réunies, rédigées à partir de leur spécialité académique par des universitaires. Toutes les disciplines qui comptent sont représentées : démographie, sociologie, droit, économie, statistique, anthropologie, géographie, histoire et gestion (ressources humaines). Manquent, hélas, des contributions des sciences du langage et des sciences des médias (marketing, notamment). 

Qu'allons nous faire dans cette galère statistique du "ressenti", de la "diversité", de la "discrimination", de l'"ethnicité", des "minorités"... demandent les auteurs. A quoi bon ? "Leurre politique", diversion, dépolitisation alors que si peu semble entrepris pour réduire les inégalités des chances indiscutables (économiques, scolaires, sociales) ?
La CNIL, prudente, s'en tient à soutenir la prise en compte, par le recensement et les enquêtes publiques, de la nationalité et des lieux de naissance des parents ; elle écarte "tout recours à des référentiels ethno-raciaux".

Il est courant aux Etats-Unis d'évoquer des variables ethniques à propos de la représentativité des panels servant aux opérations de mesure et de commercialisation de l'audience des médias. La question est à l'ordre du jour depuis des années ; elle occupe même régulièrement le devant de la scène politique au moment des élections présidentielles. Cf. les revendications du mouvement "Don't Count Us Out / Queremos Ser Contados" en 2004 à propos de Nielsen ou encore les procès intentés à l'institut d'études Arbitron, dont certains panels sont déclarés non représentatifs. Or la représentativité est jugée par rapport au recensement, lui-même discutable dans sa définition, ineffectuable, de "Hispanic" et d' "African-American", entre autres (cf. le débat en cours). Le MRC, qui audite la méthodologie des panels utilisées par les médias, se plaint quant à lui de la sous-utilisation de questionnaires bilingues pour le recrutement... Les statistiques ethniques sont-elles nécessairement fausses ?

Ceux qui travaillent dans le marketing, les médias et la publicité ont tout intérêt à suivre et animer ce débat. Imaginons, par exemple, les dégats, directs et indirects provoqués par ces notions "ethniques" une fois traduites en cibles et en affinité, une fois manipulées avec la diginité de concepts !
Le risque le plus grave que pourrait faire courir l'usage courant, et a fortiori professionnel de "statistiques ethniques" serait de rendre acceptables et légitimes des notions aux connotations racistes. Livre à débattre.
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