jeudi 6 octobre 2011

Bruit des mots, musiques : la sous-conversation des médias


Anne-James Chaton, Evénements 09, CD ou téléchargement sur iTunes,

Drôle de musique que cette musique et pourtant familière, mixage de mots issus d'informations rabachées du matin au soir. Anne-James Chaton, musicien poète rend compte de l'univers langagier, sonore et visuel, obsessionnel dans lequel nous enferment les médias, si l'on n'y prend garde. Soundscape, paysages de mots, éclats de phrases recréés en studio, rythmés, légèrement accélérés pour les mettre en scène.
Fond de mots automatiques sur lequel se détachent, obstinées, nos paroles, fond dans lesquelles elles se mêlent et se noient. Anne-James Chaton découpe, monte et colle des éléments d'information pour n'en faire que des bruits. La vie quotidienne et lancinante des mots de la vie. Sprechgesang. Mots des tickets de bus, des tickets de caisse, des cours de la bourse, des courses de chevaux, des adresses, des listes, des chiffres, des affichages, des journaux, des étiquettes, des modes d'emploi, mots de pubs, mots promo... Les uns forment une basse continue, ostinato, les autres, énoncés par une voix monocorde, les accompagnent et complètent l'harmonie. Psalmodie. Louis Aragon déjà, évoquant les infos à la radio : "Et c'est comme un essaim de mouches / Ces vocables d'aucune bouche" (Les Yeux et la Mémoire, 1954).

Cette "poésie sonore" est-elle l'inverse de la poésie, un bavardage (Gerede), ou bien sa matière première même, bruit ou signal ? Freud interpète l'étoffe des rêves, et de la rêverie (Tagtraum), en termes de condensation (Verdichtung), terme où l'on reconnaît poésie (Dichtung). Lacan commente et décrit ce travail du rêve dans "L'instance de la lettre dans l'inconscient" (1957) comme "structure littérante (autrement dit phonématique)". La phrase de Hölderlin qui dit l'homme habitant poétiquement la Terre ("Dichterisch wohnet der Mensch auf dieser Erde") prend tout son sens...

Anne-James Chaton donne à percevoir ce dont nous n'avons pas conscience, la relation entre poésie - création et invention langagière - et bavardage / bruit des médias. Poésie des mots qui courent, "sous-conversation" banale faite d'expressions assénées à longueur de journées par les médias, clichés, mots sans auteurs, phrases sans sujet, passivation, inculcation, acceptation. Nous sommes parlés.
Alors que les mots sont devenus la base des outils de recherche et de marketing sur le Web, et que tout va et échoue sur le Web, une réflexion sur l'incorporation et la re-création des mots quotidiens semble utile. Les travaux conduits sur les réseaux sociaux pour déterminer les "sentiments" des locuteurs ("analyse conversationnelle", cf. semantiweb, Viralheat, etc.) rendent cette réflexion encore plus nécessaire.

A écouter. Après, on n'entend plus le fond sonore de notre environnement langagier de la même manière : on l'écoute : fascinant. Google nous réduit à "nos" mots, Lacan aussi : pour l'un comme pour l'autre, nous habitons les signifiants, et ils nous habitent. Anne-James Chaton les tisse.

Exemples :   "L'échec de l'empire"    "The King of Pop is Dead"     "Washington déraille en Irak"

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