mercredi 22 juin 2016

La Voix humaine au téléphone


"La Voix humaine", Jean Cocteau, Francis Poulenc avec Denise Duval, film de Dominique Delouche, DVD (110 mn, avec deux films de Dominique Delouche dont "Denise Duval revisitée", 72 mn), Editions Ricordi, 2009, 17,14 €. English subtitles.

"La Voix Humaine" est une pièce en un acte de Jean Cocteau (1930), à partir de laquelle un opéra fut créé à l'Opéra Comique à Paris en février 1959 sur une musique de Francis Poulenc, interprété par Denise Duval, soprano, amie du compositeur qui la préféra à Maria Callas pour le rôle (cf. l'interview de Francis Poulenc par Bernard Gavoty). L'orchestre est celui de l'Opéra Comique, dirigé par Georges Prêtre.

Toute l'action se passe au téléphone. Cette pièce est un semi-monologue ; on ne voit et n'entend qu'un seul des deux interlocuteurs de la scène, une femme avec qui son amant vient de rompre (Denise Duval chante en play-back sur le film dont elle est l'unique actrice). Le personnage principal du film est donc le téléphone, mis ainsi en abyme.

Outre l'opéra (1970), Dominique Delouche a réalisé un documentaire consacré à une magistrale leçon d'interprétation donnée par Denise Duval (1921-2016), créatrice du rôle-titre, à Sophie Fournier, mezzo-soprano, accompagnée au piano par Alexandre Tharaud (1998).

En plus de son intérêt musicologique, historique, théâtral et pédagogique (mise en scène, direction d'acteur, leçon de chant), nous retiendrons surtout de cet opéra et du documentaire qui l'accompagne, la mise en évidence, involontaire, des particularités technologiques et médiatiques du téléphone et de leur évolution jusqu'au smartphone actuel. On est loin encore de la VoIP, de Skype, Facetime (Apple), Hangouts (Google) ou même WhatsApp et des casques Bluetooth. Le jeu de Denise Duval illustre les gestes de la personne qui téléphone, son hexis corporelle (maniement du combiné, expressions de la voix, du visage).

Tout d'abord, on observe les limites technologiques de la communication téléphonique : la technologie ne se laisse jamais oublier. En effet, pour communiquer, il faut passer par un intermédiaire, une "demoiselle du  téléphone", une de ces "ombrageuses prêtresses de l'Invisible", comme les appelle Marcel Proust, celles qui assurent la mise en relation avec les centraux téléphoniques ("j'écoute, j'écoute") ; il arrive aussi qu'il y ait plusieurs personnes simultanément sur la même ligne ("raccrochez !"), des coupures... Ensuite s'observe la lourdeur incommode d'un combiné peu maniable, encombrant qui reste relié par un cordon à une prise murale. Le téléphone se révèle un média "cool", de basse définition (low-definition), qui, selon Marshall McLuhan, demande une grande participation (interaction) : "the telephone demands complete participation" (Understanding Media, 1964) ; "La Voix humaine", sa mise en scène, le jeu de l'actrice, les décors même en témoignent.
Occasion aussi de rappeler combien la voix humaine a une histoire et que la prononciation change avec les générations, tout comme les prises de son. La voix date. Notons encore que les enfants d'aujourd'hui, nés avec le smartphone, ne comprennent pas grand chose aux images d'un téléphone du début du siècle avec ses fils, son cadran rotatif, son combiné et ses "demoiselles".

La proximité dramatique du lointain, cette étrange intimité qu'assure la technologie téléphonique sera aussi le thème d'une chanson de Guy Béart à propos des cabines téléphoniques ("Allô, tu m'entends", 1967, ici avec Dalida). Et puis, n'oublions pas : "Le téléphone pleure" par Claude François : "je suis si près de toi avec la voix" (1974).
L'intermédiation téléphonique a fait l'objet d'un sketch comique célèbre, "le 22 à Asnières" (Fernand Raynaud, 1955), emblématique du retard des équipements téléphoniques en France, jusque dans les années 1980.


N.B. "La Voix Humaine", reprise à Paris au Cabaret du Théâtre de Poche Montparnasse en 2016, avec Caroline Casadesus (cf. affiche supra), a retrouvé une actualité.

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