mercredi 1 janvier 2020

De l'histoire, des histoires au cinéma


Christian Delage, Vincent Guigueno, L'historien et le film, Edition revue et augmentée, Paris, 2004 et 2018, Gallimard, 431 p., Bibliogr, Index nominum, Index rerum

Quand l'historien se fait collaborateur du cinéaste, et conseiller surtout... Les relations des historiens aux films constituent toute une histoire que ce livre aborde sous divers angles.
Quels sont, par exemple, les points communs qui relient les oeuvres de l'allemande Leni Riefenstahl qui filme, enthousiaste, les manifestations nazies avec lesquelles elle sympathise et le film de l'américain Charlie Chaplin, qui montre l'action criminelle des nazis envers les populations juives d'Europe, entre Le dictateur et Sieg des Glaubens ? Le recours au cinéma, l'attention au talent ? Ni Charlie Chaplin ni Leni Riefenstahl ne sont pourtant historiens et leur souci premier n'est certes pas de traiter l'histoire de l'époque en historiens, c'est au mieux de la montrer telle qu'eux la voient, la comprennent, la craignent ou la célèbrent.
Et, ensuite, se posent les problèmes des acteurs, des décors, des outils techniques à la disposition des cinéastes et ce ne sont pas du tout les mêmes en 1940 et en 1997. C'est l'âge de l'histoire. Le livre donne de nombreux exemples de collaborations cinéastes / historiens. Tout d'abord, Nuit et brouillard, court métrage d'Alain Resnais et Jean Cayrol (30 minutes) réalisé en 1956. Les intentions des auteurs sont étudiées : pourtant, vu d'aujourd'hui, le film semble ne pas insister sur la destruction des communautés juives d'Europe, voire même l'oublier. De L'armée des ombres (1969, Jean-Pierre Melville), à Dunkerque (2017), on voit le cinéma filmer la guerre en en faisant toute une nouvelle histoire.

Belles occasions de voir les historiens se tromper, par nécessité historique : toute histoire a une histoire et cette histoire change avec les époques, les outils d'observation, de compréhension autant que les problème que privilégient l'époque et le public visé... L'accumulation de données finit aussi par modifier ce que l'on voit, ce que l'on comprend. Ce que l'on veut comprendre aussi change, les historiens sont enfants de leur époque, de leurs problèmes, de leurs moyens techniques et de leurs méthodologies. Plus peut-être que ceux qui travaillent à une thèse, les historiens engagés dans un film sont pris par le public qu'ils visent, par un budget aussi : le public de la thèse est très restreint, le jury est de cinq personnes, tandis que celui du film est massif.

Le livre donne à réfléchir à plusieurs films : ainsi, La petite patrie, en 1992, film réalisé pour le bicentenaire de l'Ecole Polytechnique ou Voyages (Emmanuel Finkiel, 1999). Dans tous les cas, les lecteurs du livre sont amenés à réfléchir à la "vérité de la fiction", vérité fondée sur les seuls éléments dont dispose alors le cinéaste. Ensuite peuvent intervenir le casting, des outils plus récents (YouTube, carnets de recherche, blogs)...
En conclusion, voici un ouvrage de réflexions de toutes sortes à propos d'oeuvres cinématographiques consacrées à un moment particulièrement difficile de l'histoire. Cinéastes et historiens, on le comprend vite, sont dépendants de leurs outils mais aussi et surtout des idées de leur temps. A chaque époque sa manière de se raconter l'histoire ?

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