dimanche 8 février 2015

Les machines et la naissance du bruit


Luigi Russolo, L'art des bruits. Manifeste futuriste 1913, Paris, Editions Allia, 2014, 46 pages, 6,2 €

Voici la réédition d'un document classique, vieux d'un siècle. Le futurisme y célèbre et revendique l'introduction du bruit dans la musique pour "enrichir le domaine des sons". Ou, plutôt, c'est la musique qui est intégrée dans l'univers sonore global ; dans cet univers, les machines sont, elles aussi, aussi des instruments de musique sur lesquels on joue, des "bruiteurs".

Au début du manifeste, est posé le constat, comme un postulat : « La vie antique ne fut que silence. C'est au XIXe siècle seulement, avec le bruit des machines, que naquit le bruit. » Certes, il y avait déjà les bruits de la rue ("Les cris de Paris", "Les embarras de Paris"), le bruit des batailles ("La guerre") mais, avec les usines et les machines, avec les moteurs, l'univers sonore change de dimension. Les usines et leurs machines mécanisent et multiplient les types de bruits ; ce sont les retombées inattendues du travail industriel. Puis viendront les transports, le haut-parleur, les sonneries...

Les futuristes découvraient et aimaient le bruit des moteurs, des automobiles, des avions. En 1912, Guillaume Apollinaire (Alcools) avait déjà célébré la "grâce" d'une "rue indutrielle", la poésie de la ville moderne, électrique :

"Les tramways feux verts sur l’échine
Musiquent au long des portées
De rails leur folie de machines"

Détournant les machines de leur rôle premier, Luigi Russolo invente des instruments dont le fameux russolophone qui inspirera à John Cage ses pianos préparés. Il s'agit, avec des "orchestres de bruits", de "rénover la musique par l'art des bruits". Ainsi, Edgar Varese, qui mêlera les bruits à la musique pour composer "Déserts" (1954), sirènes des péniches, moteurs de bateaux, et le fameux do dièse du sifflet d'une locomotive. Mais Edgar Varese était plus ambitieux que les bruitistes dont il tint à se distinguer dès 1917.

La place des médias dans le bruit ? Les médias ont achevé le silence, de plus en plus introuvable. Ils ont introduit le bruit dans l'habitation : la radio, la télé chez soi sont aussi du bruit pour les voisins, sans compter le capharnaüm sonore des magasins bruyant de promotions... Ces bruits de média font désormais partie de l'environnement (bande-son de nos sociétés) et parfois deviennent musique à leur tour (cf. Les médias et les bruits du silence). Les mots peuvent être des bruits aussi, conversations devenant le fond sonore de la vie sociale, une matière première musicale, une basse continue (cf. Bruits de mots, musiques).

Ce manifeste est une publication suggestive qui anticipe l'évolution de l'histoire musicale, c'est aussi une réflexion sur l'environnement sonore des sociétés industrielles naissantes. Depuis, nos sociétés font de plus en plus de bruit, par médias interposés, entre autres.

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