Pierre Monat, Histoire profane de la Bible. Origines, transmission et rayonnement du Livre saint, Paris, Perrrin, 304 p., Bibliogr. 22 €
Cet ouvrage n'a pas d'ambition religieuse : il vise essentiellement l'histoire d'un ensemble de textes rassemblés diversement, à diverses époques, sous le nom de Bible. TaNaK, Ancien Testament, Nouveau Testament, Pentatheuque... De quel(s) texte(s) s'agit-il lorqu'il est question de la Bible ? Derrière ce terme unique se cachent des œuvres différentes variant selon les contenus réunis, les langues d'origine, les époques, les traductions... L'ambition de Pierre Monat est d'exposer et expliquer ces différences. L'enjeu des variations observées est souvent d'ordre confessionnel mais aussi profane : les textes qui forment les "Bibles" nourrissent depuis des siècles les cultures occidentales, religieuses, certes, mais laïques aussi : elles constituent un ensemble commun de références partagées, d'images, de sentences, de formules, de proverbes, de maximes, etc. Car tout le monde pense et s'exprime avec ou contre la Bible, souvent sans le savoir.
"De quelle Bible parlons-nous", demande d'emblée l'auteur. Ajoutons : quelle bible lisons-nous ? La fameuse Septante (traduction de l'hébreu en grec, Alexandrie, vers 260 avant J-C), la Bible d'Erasme (grec et latin, 1516), celle de Lefèvre d'Etaple en français (1523), la Bible de Luther (1545) dont on dit qu'elle a formé la langue allemande, la Vulgate traduite de l'hébreu (veritas hebraica) et du grec en latin, par Jérôme, les "bibles" juives, les bibles chrétiennes (ancien et nouveau testaments avec les Epîtres de Paul et les Evangiles qui annoncent Jésus) où divergent catholiques, protestants et églises d'Orient avant que ne s'instaure, récent, un relatif œcuménisme. Tout d'abord donc des problèmes de textes... Malgré tout le talent de Pierre Monat, il est bien difficile de ne pas s'y perdre.
Pierre Monat rappelle combien la dimension matérielle de l'édition a été déterminante à chaque étape de la "construction" de la Bible (des bibles). Comme pour tous les textes anciens, le passage de l'oral à l'écrit, du rouleau de papyrus au parchemin (codex), à l'imprimerie, chaque étape technologique affecte le texte. Le travail des copistes, des correcteurs, le travail des traducteurs au fur et à mesure du passage de l'hébreu et du grec puis aux langues modernes, affectent également le texte. De plus, l'élaboration des textes bibliques a été scandée par la découverte de documents plus anciens, de références plus sûres (cf. les rouleaux de Qumrân en hébreu, araméen et grec datant du 3ème siècle avant notre ère), par les mouvements culturels (la Renaissance), par les ingérences politiques des rois, des empereurs et des papes qui prétendaient confisquer un texte à leur convenance.
S'y ajoute la difficulté de déchiffrer des documents calligraphiés en onciale, sans espace entre les mots, avec des abréviations, sans ponctuation. L'imprimerie transformera l'économie et la technologie de la Bible : elle permettra le réalisation de bibles polyglottes (suivant le principe de l'Hexaples d'Origène), l'incorporation de commentaires dans les éditions, puis la multiplication des bibles en langues vernaculaires, longtemps interdites par certaines autorités religieuses : il faut que tout le monde puisse lire la bible, y compris les femmes. Certains traducteurs, comme Henri Meschonic, essaient de dégager la langue de la bible de la gangue accumulée dans des traductions "effaçantes", de la "déshelléniser" voire de la "débondieuser" en collant de plus près à l'hébreu, à son rythme, sa prosodie, et en privilégiant une terminologie laïque.
L'ouvrage de Pierre Monat fait entrevoir la difficulté d'une science des textes bibliques. L'exégèse historico-critique contemporaine redonne de la rigueur à l'élaboration du texte (ecdoticiens, linguistes), elle distingue l'approche historique de l'interprétation théologique et confessionnelle et invite à des lectures toujours inachevées, prudentes et, nécessairement, toujours actuelles. Lire la bible est un art vivant.
Références
Ajoutons quelques références à la bibliographie de Pierre Monat.
- Die Schrift, 4 volumes, de Martin Buber et Franz Rosenzweig. Ce n'est pas exactement une traduction : les auteurs ont rendu le texte en allemand ("verdeutscht"), Deutsche BibelGesellschaft, Stuttgart, 1976. Avec un texte de Martin Buber, "Zu einer neuen Verdeutschung der Schrift".
- Die Tora nach der Übersetzung von Moses Mendelsohn, 2001, Jüdische Verlagsanstalt, Berlin, glossaire et cartes
- Jacob ben Isaac Achkenazi de Janow, Le Commentaire sur la Torah- Tseenah ureenah, Traduit du yidish par Jean Baumgarten, Paris, Verdier Poche, 1987.
- Etz Hayim, Torah and commentary, New York, 2001 (bilingue hébreu / anglais). Il existe une édition de "poche" (Travel Size Edition)
- La Voix de la Thora, commentaire du Pentateuque, textes hébreu et français, par Elie Munk, Paris, 1992, Fondation Samuel et Odette Lévy
- La Bible, Ancien et Nouveau Testament, traduction de Louis-Isaac Lemaître de Sacy, préface et textes d'introduction établis par Philippe Sellier, Editions Robert Laffont, 1990, Chronologie, cartes, lexique
- Martin Luther, Ecrits sur la traduction, Paris, 2017, Belles Lettres
- Naissance de la Bible grecque, Paris, 2017, Les Belles Lettres, et ici ; sur la Septante.
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