Anita Elberse, Blockbusters. Hit-making, Risk-taking, and the Big Business of Entertainment, Henry Hol & Company, New-York, $ 12,74, 320 p., 2013, Index.
Professeur de marketing à Harvard, Anita Elberse étudie et expose - et raconte aussi - les raisons de l'efficacité des blockbusters. Elle montre que le passage de l'analogique au numérique ne change rien à la logique des grands succès dans l'économie et la gestion du divertissement. Au contraire : de plus en plus de produits (musique, DVD sur Netflix, vidéos sur YouTube, livres, jeux vidéo) sont consommés à un faible nombre d'exemplaires tandis que les ventes se concentrent sur quelques titres, sur quelques personnes : c'est le contraire de l'effet escompté de la "longue traîne" qui devait faire vendre moins d'unités de beaucoup plus de titres : Chris Anderson, The long tail. Why the Future of Business is Selling Less of More, 2006.
Pour sa démonstration, Anita Elberse s'intéresse au cinéma, au show-business (Lady Gaga, Tom Cruise, Maroon 5, Jay-Z), à l'édition et même à la distribution numérique des opéras (le Met de New York) ; elle traite aussi beaucoup du sport : du football (Real Madrid, Beckham, NFL), du tennis (Shaparova), du basket (LeBron), du baseball (MLB), etc. De ses nombreuses et diverses observations, elle conclut qu'il vaut mieux tout miser sur un film ou un livre dans l'espoir de produire un énorme succès - quitte à risquer de tout perdre - plutôt que répartir son investissement entre divers projets de moindre ampleur (i.e. diversifier son portefeuille). Dépenser davantage sur moins de produits : la stratégie marketing du blockbuster (tente-pole strategy) s'oppose à celle dite de gestion pour les marges (managing-for-marges) qui a vu échouer lourdement le network NBC ; elle s'avère toujours la plus efficace dans la gestion du divertissement. Cette proposition est issue d'observations réalisées sur les dix dernières années, et vérifiées sur des cas plus récents ; elle va à l'encontre des clichés du marché : plus de canaux de télévision ont provoqué, non pas une fragmentation de l'audience, comme l'on s'y attendait mais une concentration. De même, iTunes qui met à disposition largement vend étroitement. Netflix suit le même modèle, Hulu aussi...
Les économies d'échelle, au travers de l'achat d'espace publicitaire nécessaire au lancement des produits de divertissement, accentuent l'intérêt des blockbusters, de même que l'internationalisation des marchés du divertissement ou, sur un autre plan, celle des réseaux sociaux mondiaux. L'économie des blockbusters favorise la répétition et les positions acquises : genres de films (vampires, super-héros masculins), acteurs, sportifs ou chanteurs à succès... Stars à temps plein, people, "celebrities" ! Ce conservatisme rencontre et renforce le conformisme des spectateurs, téléspectateurs, lecteurs...
L'auteur semble prendre peu de distance avec le milieu qu'elle analyse, sa culture, son idiome, ses valeurs. Elle éprouve sympathie et admiration pour le monde qu'elle observe, qui constitue son terrain (field) ; elle n'est certes pas "en colère contre l'air du temps". Elle décrit sans intention de dénoncer, approfondit des cas. On n'est pas loin d'une approche ethnologique.
Au plan épistémologique, l'ouvrage n'évoque pas, et c'est regrettable, les effets induits par la quantification, la comptabilisation continue du succès où s'illustrent notamment les réseaux sociaux (nombre de fans, de suiveurs, etc.) et les médias (Billboard, Variety, etc.). On attendrait ici des références à Gabriel Tarde, ni évoqué ni cité (ethnocentrisme des sciences de gestion américaines ?) : Tarde réclamait une science des "intérêts passionnés", une psychologie économique des loisirs, soulignant que "dans l'emploi de ses loisirs, comme dans l'exercice de son travail, l'homme est imitatif." (Psychologie économique, Tome premier, 1902). Cette psychologie économique et la logique de réduction des coûts de transaction convergent dans le sens des blockbusters. Pourquoi ?
L'auteur semble prendre peu de distance avec le milieu qu'elle analyse, sa culture, son idiome, ses valeurs. Elle éprouve sympathie et admiration pour le monde qu'elle observe, qui constitue son terrain (field) ; elle n'est certes pas "en colère contre l'air du temps". Elle décrit sans intention de dénoncer, approfondit des cas. On n'est pas loin d'une approche ethnologique.
Au plan épistémologique, l'ouvrage n'évoque pas, et c'est regrettable, les effets induits par la quantification, la comptabilisation continue du succès où s'illustrent notamment les réseaux sociaux (nombre de fans, de suiveurs, etc.) et les médias (Billboard, Variety, etc.). On attendrait ici des références à Gabriel Tarde, ni évoqué ni cité (ethnocentrisme des sciences de gestion américaines ?) : Tarde réclamait une science des "intérêts passionnés", une psychologie économique des loisirs, soulignant que "dans l'emploi de ses loisirs, comme dans l'exercice de son travail, l'homme est imitatif." (Psychologie économique, Tome premier, 1902). Cette psychologie économique et la logique de réduction des coûts de transaction convergent dans le sens des blockbusters. Pourquoi ?
Les conclusions de cet ouvrage peuvent-elles être étendues à d'autres domaines, aux stratégies marketing d'autres marques ? L'auteur le pense, évoquant le cas d'Apple, de Victoria's Secret ou de Burberry dont la culture commerciale s'apparente à celle des entreprises de loisirs numériques ; cela vaut aussi pour Red Bull, pour Starbucks, etc. Le numérique permet la transformation du business des marques et de leur marketing en show business. Triomphe de la "société du spectacle" (Debord) ou de la "classe de loisir" (Veblen) ? "There is no business like show business..." : la conclusion s'imposait.
Le livre est agréable. On ne s'ennuie pas. Danger ! Ensuite, il faut le relire pour le désenchanter.
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Le livre est agréable. On ne s'ennuie pas. Danger ! Ensuite, il faut le relire pour le désenchanter.
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