lundi 5 novembre 2012

Face à face et numérique : Face-to-Facebook


Ed. Keller, Brad Fay, The Face-to-Face Book. Why Real Relationships Rule in a Digital Marketplace, Free Press, 2012, Index. 12,99 $ (édition numérique).

A en croire les réseaux sociaux et ceux qui prônent leur utilisation publicitaire, il n'y aurait plus de conversation que numérique. Facebook aurait avalé toute la conversation du monde (du latin conversatio : commerce, intimité, fréquentation).
Les transports, les bistrots, le fameux Café du commerce, la machine à café s'avèrent pourtant des lieux essentiels de conversation. Les opinions, les décisions d'achat, de vote, s'y forment ; les opinions "individuelles", les goûts et les dégoûts, les centres d'intérêt s'y mettent en place ; arguments et rationalisation.

L'ouvrage est basé sur une enquête continue par interviews menée sur les conversations, le bouche à oreille (word-of-mouth, WOM, une expression qui viendrait de Ernest Dichter) Aux Etats-Unis l'enquête, TalkTrack, repose sur des échantillons représentatifs de 700 interviewés de 13 à 69 ans  par semaine. Il en ressort que les Américains parlent chaque jour en moyenne de dix marques, pendant 3 à 10 minutes chacune. 90% des conversations ont lieu off-line (14% au téléphone, 76 % en face à face), 8% on-line (cf. graphique ci-dessous). Sur quoi roulent ces conversations ? On-line, les marques de divertissement, les marques d'automobile, de technologies, de télécoms et de sport représentent plus de 80% des conversations ; off-line, la dispersion est plus large (ces mêmes catégories représentant moins de 50 des conversations). La richesse des données produites laisse rêveur.
Les résultats de TalkTrack replacent les conversations en ligne dans une perspective stimulante. Ils remettent les réseaux sociaux à leurs place. Les auteurs font l'hypothèse que l'abondance d'informations, l'encombrement informationnel conduisent les consommateurs à se réfugier dans les avis, les conseils de personnes en qui ils ont confiance, les proches, "the influencer next door" : plus il y a d'information commerciale (clutter), plus le bouche à oreille est nécessaire et décisif, plus il est réconfortant.
Les résultats de cette enquête sont particulièrement importants pour la publicité : comment concevoir et planifier les actions publicitaires pour qu'elles déclenchent le bouche à oreille, une sorte de rumeur, une émotion, en un mot, un engagement? Par exemple, la télévision regardée en groupe dans les bars (celle qui échappe aux audimètres), engage plus que celle regardée à la maison. Peut-on étendre une telle observation / conclusion à la télévision sociale ? Le livre fourmille d'exemples semblables, plus ou moins iconoclastes.

Au plan théorique, les auteurs partent des principes établis par Elihu Katz et Paul Lazarsfeld dans Personal Influence en 1955 (the "two-step flow of communication") et confirmés par Ed Keller et Jon Berry en 2003 : The Influentials: One American in Ten Tells the Other Nine How to Vote, Where to Eat and What to Buy. Les données empiriques dont disposent Ed Keller et Brad Fay leur permettent de remettre en chantier certaines des conclusions de toute cette école.

Pratiquement, les auteurs plaident pour plus d'équilibre dans les plans de communication faisant appel aux réseaux sociaux : à côté, et peut-être avant les relations virtuelles, on-line, il faut exploiter les relations réelles qui s'établissent dans le vrai monde (in real life). Car les réseaux sociaux réels l'emportent sur les réseaux sociaux virtuels, et de loin. Ce livre constitue une forte invitation à penser et à repenser les réseaux sociaux dans leur ensemble, off- et on-line. A propos, rien n'indique que les réseaux virtuels remplacent ou prolongent les réseaux réels ; un fossé infranchissable les sépare peut-être, et même, peut-être sont-ils non-substituables. Penser à la définition que donne parfois Sheryl Sandberg du marketing avec Facebook : “word of mouth at scale".

Conversation on-line et off-line selon l'enquête TalkTrack (juillet 2010-juin 2011). Groupe Keller Fay (o.c.).

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9 commentaires:

  1. Cet ouvrage est particulièrement intéressant car il redonne une importance à la théorie du two step flow of communication. Cependant, il semble aussi qu'il faille aussi tenir compte des anonymes sur lesquels les individus bâtissent leurs choix. En ce sens, pour rester sur une approche théorique, l'ouvrage de Diana Mutz, Impersonal Influence montre que les opinions se forment en grand partie sur une masse d'inconnus et d'acteurs extérieurs à son cercle social, tel que les sondages, les médias ou autres. Si l'effet contesté des médias tend à fournir une littérature abondante, il parait intéressant de reprendre l'ouvrage de Mutz notamment afin de prendre en compte l'importance de l'e-reputation, des forums de discussion et autres sur les choix des consommateurs.

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    1. Merci, Kenji, pour cette référence très utile (qui n'est pas dans la biblio des auteurs).

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  2. Il est rassurant de constater que les réseaux sociaux réels l'emportent sur les réseaux virtuels. Néanmoins, pour les entreprises, il est plus difficile de maîtriser et de mesurer le bouche à oreille de la vraie vie plutôt que le bouche à oreille virtuel, qui peut être analysé par certains logiciels et fournir des informations importantes aux entreprises. Plusieurs stratégies s'offrent aux entreprises qui veulent créer un bouche à oreille positif. Premièrement, l'entreprise peut lancer des concours. La générosité de l'entreprise peut créer un buzz autour de ses produits. Deuxièmement, l'entreprise se doit d'avoir un SAV d'excellente qualité. En effet, on sait que lorsqu'un client est insatisfait, il tent à en parler beaucoup plus et il en parle à environ 30 personnes de son entourage proche. Afin d'éviter un word of mouth négatif et la perte de clients, le SAV doit satisfaire le client et le fidéliser en lui offrant encore plus que ce qu'il demandait. Ainsi, le client, plus que satisfait, incitera ses proches à acheter les mêmes produits que lui. Peut-être même que les proches raconteront l'anecdote de leur ami à d'autres amis. Ce qui créera une publicité positive et ciblée, avec un fort impact sur les opinions de consommateurs potentiels, et un coup très faible (bien moindre qu'une publicité télévisé, puisqu'il suffit d'offrir un cadeau ou un rabais au client insatisfait).

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  3. Je rebondis sur le commentaire de Nastassja qui constate qu'il est indispensable pour les entreprises de "mesurer le bouche à oreille de la vraie vie".

    C'est vrai, néanmoins c'est très difficile pour les entreprises. Je constate -et déplore- que les entreprises ne s'y intéressent pas du tout, ou du moins ne se penchent pas sur la question, car elles ont du mal à contrôler ce "owned media". Elles se cantonnent souvent au "earned media", à gérer un mur Facebook et un compte Tweeter. Pourtant, le bouche à oreille des consommateurs est bien plus impactant, puisque, comme précisé dans le post, les consommateurs ont tendance à se réfugier dans les avis d'autres consommateurs ou de leurs pairs.

    Il est à mon avis aujourd'hui indispensable pour une entreprise de surveiller la prise de parole sur le net qui peut refléter le bouche à oreille de la vraie vie. Et pourquoi même ne pas répondre à ces consommateurs, comme le fait la marque Michel&Augustin?
    Désamorcer des remarques négatives, les prendre en compte, bref, montrer que la marque est à l'écoute de ses consommateurs potentiels (ou non consommateurs), pour avoir un peu plus de poids qu'un discours banalisé de marque sur Facebook...
    elisanormand

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  4. Cet ouvrage pousse à revoir les stratégies de communication des marques en ligne. La communication face-à-face est plus efficiente que la communication en ligne en termes de quantité et de qualité des conversations ainsi qu’au niveau du processus d’influence et de persuasion.
    La proportion des conversations en ligne est faible par rapport aux interactions face-à-face. On ajoute à cela la qualité du contenu des discussions échangées qui se limite en ligne, la plupart du temps, à des messages courts, images, ou parfois de simples « likes » sur les plateformes communautaires comme Facebook. Alors qu’en face-à-face « on ne peut pas ne pas communiquer » (école de Palo Alto). La communication est une combinaison entre le contenu et la relation. Ce qui facilite le processus d’influence des leaders d’opinion, selon la two-step flow theory.
    L’enjeu des marques est d’améliorer leur visibilité sur les réseaux sociaux où les leaders d’opinion cherchent et filtrent l’information qu’ils transmettent, par bouche-à-oreille, à la cible.

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  5. Dans le graphique, il est indiqué que 14 % de la communication se déroule par téléphone, et que téléphoner fait partie de la communication off-line. II en ressort que Skype, Viber & Cie., qui sont des fournisseurs pour la téléphonie par Internet, font pas partie de ces 14 % - les appels passent en ligne. Donc dans quel chiffre la téléphonie par Internet est-elle intégrée ? Et en cas de la recherche de l’influence des médias sur la communication, qui est important pour la branche de la publicité, est-il encore utile de distinguer entre la téléphonie par Internet et la téléphonie classique ? Parce que pendant que les outils sont différents, le principe reste le même : on parle en temps réel. À mon avis, on peut même dire que la téléphonie sur Internet ressemble plus à la communication face-à-face que la téléphonie classique, parce que il s’agit assez souvent des appels vidéos. Par contre, dans le graphique, il est la téléphonie classique qui constitue un groupe avec la communication face-à-face.

    Dans l’article, Monsieur Mariet conclut que « Ce livre constitue une forte invitation à penser et à repenser les réseaux sociaux dans leur ensemble, off- et on-line. “ Moi aussi, je pense qu’il faut repenser. Mais peut-être « on-line » et « off-line » ne sont pas toujours les meilleurs critères pour comparer les différents modes de la communication, surtout si on focus sur l’effet de la communication.

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  6. En fait rien ne peut et ne pourra jamais remplacer la communication face à face!

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  7. Il est plus facile de faire confiance à quelqu'un en face à face. En online on ne sait jamais vraiment si on peut se fier aux avis des consommateurs. Les "Like" peuvent par exemple représenter une bonne publicité pour une marque, mais quand on pense qu'il est possible pour les entreprises d'acheter leurs fans, cette pratique perd toute crédibilité.

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  8. Selon cette étude, il ne faudrait pas surestimer l’importance de la communication « online » et sous-estimer celle de la communication « offline ». Je pense en effet qu’aucun mode de conversation ne peut se substituer à la conversation face-à-face et que le processus de formation d’opinion se déroule avant tout dans les conversations réelles, « offline ». Par rapport au « fossé infranchissable » entre réseaux virtuels et réseaux réels, je pense que cet avis peut être nuancé.
    L’article fait référence aux « influenceurs » ou leaders d’opinion. Le crédit accordé à une information varie en fonction de la personne qui la transmet. A l’ère du numérique et des réseaux sociaux, on peut dire que les « récepteurs » accordent une importance différente à un contenu en fonction de la personne qui le publie, partage… Et on peut prétendre que les « connaissances du monde réel » priment sur les « inconnus du monde viruel », dans le sens où je ferai davantage confiance à un individu que je connais, que j’ai déjà rencontré, avec qui j’ai eu l’occasion de communiquer en face à face.
    On peut dire que les conversations dans le monde réel influence la perception des contenus que l’on découvre dans les réseaux virtuels. Il y a selon moi une interaction entre les deux, et dans cette interaction, la conversation réelle a une plus grande influence. Les internautes prennent connaissance de contenu sur les réseaux sociaux, puis les évoquent dans les réseaux réels (la question classique : « Tu as vu cette page sur Facebook ? »). Dans le même sens, les conversations réelles peuvent orienter la navigation virtuelle (« Il faut que j’aille voir la vidéo dont tu m’as parlé ! - Je t’envoie le lien ! »). Finalement, l’information circule entre réseaux réels et réseaux virtuels – ils sont non-substituables mais en interaction.

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