dimanche 29 avril 2012

Catharcis et tragédie

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William Marx, Le tombeau d'Oedipe. Pour une tragédie sans tragique, Paris, Les Editions de Minuit, 2012, 206 p., Index.

A première vue, c'est un livre pour helléniste. Certes, mais pas seulement. Au coeur de l'ouvrage se trouve la notion de "catharcis" (κάθαρσις), notion clé pour l'étude des effets des médias (inusables débats sur la violence des jeux vidéo, la sexualité au cinéma, à la télé, etc). On la tient généralement d'Aristote (Poétique, Politique). De philologues en hellénistes, William Marx en démonte littéralement l'histoire jusqu'à en extraire l'essence : la catharcis est l'effet du spectacle sur le corps du spectateur ou du lecteur (à cette époque, la lecture se fait à haute voix, le lecteur écoute). Au terme de l'analyse, on débouche sur  des notions hyppocratiques (les humeurs), biologiques, psychosomatiques. Tout cela conduit logiquement à Freud : la tragédie agit comme la cure psychanalytique, par le langage, amenant du refoulé à la conscience. Dé-foulement, émotion, plaisir... Voici une voie à creuser pour l'étude des médias, télévision, cinéma... voire même des réseaux sociaux.

L'ouvrage commence par l'histoire de la tragédie grecque, qui est surtout l'histoire de sa déformation par la littérature. La tragédie grecque était locale, strictement, par défaut. Délocalisée par l'érosion des textes, "la tragédie est livrée aux concepts", à l'abstraction ("Le concept est l'ennemi du lieu", phrase que n'aurait pas reniée Lévinas). Ainsi se densifie la teneur "littéraire" de l'oeuvre, décapée de ses lieux, de sa géographie ("la tragédie racinienne est sans racine, dit l'auteur. Mondialisée").
William Marx relève, chemin faisant, le peu que nous savons du théâtre grec, réduit à un échantillon de textes, sans doute fort biaisé.

Livre érudit mais sans frime, livre espiègle, plein d'humour. Le lecteur est bousculé à chaque page, défamiliarisé : inconfort de la culture. Livre à lire et à relire, à ruminer. On y saisit à l'oeuvre une méthodologie prudente, souvent impertinente. Le livre trace les voies d'une épistémologie féconde, décapante : combien de termes utilisés par l'étude des médias mériteraient un travail semblable à celui que l'auteur a effectué sur la "catharcis" et sur le tragique (ainsi, pour commencer, celui d'"audience") ?
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