mardi 24 mai 2011

L'imprimerie en Chine, bien avant Gutenberg

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Thomas Francis Carter, L'imprimerie en Chine. Invention et transmission vers l'Occident, Paris, 2011, Imprimerie Natrionale Editions, 318 p., Bibliogr., Index, Chronologie.

Luo Shubao, An Illustrated History of Printing in ancient China, City University of Hong Kong Press, 1998, 128 p., bilingue anglais - chinois, index bilingue, cartes.

Classique d'histoire traduit de l'anglais (introuvable en anglais), ouvrage qui fait référence sur le sujet, publié en 1925, complété en 1955. L'imprimerie commence en Chine vers le 10ème siècle de notre ère. L'ouvrage parcourt toutes les étapes de l'histoire des inventions menant à l'imprimerie : du papier et de l'encre d'abord, puis de l'imprimerie par planches et enfin par caractères mobiles (en bois, en argile puis en métal). Imprimerie de livres, les Neuf Classiques confucéens d'abord dès 931, en 130 volumes, suivant l'ordre du Premier ministre Feng Dao (冯道 / 馮道), mais aussi de cartes à jouer, de monnaies, de textiles.
Ouvrage méticuleux (451 notes) qui ne nous épargne aucun détail de la mise au point de l'imprimerie, examinant notamment la géographie de la diffusion de cette technique en Chine mais aussi en Corée, en Perse, en Turquie, au Japon, en Egypte jusqu'à l'Europe (Venise, Russie). Derrière le "gros concept" d'imprimerie se dégage des pratiques complexes, des mises au point lentes, réfutant en acte les explications simplistes.
On perçoit, dans le détail des technologies intermédiaires, les conséquences des systèmes d'écriture sur les évolutions technologiques des médias. Là où suffit une trentaine de caractères pour imprimer du latin (Gutenberg), il en faut plus de 30 000 pour imprimer du chinois. L'imprimeur les classe selon les tons (5) puis selon les rimes (phonétique). La différence première, et sans doute plus formatrice qu'on ne le sait entre cultures chinoises et occidentales, naît de l'opposition alphabet / caractères. Le portrait de l'homme ABC minded, cher aux travaux de M. McLuhan et de Jack Goody, ne vaut que pour l'homme occidental. A cela s'ajoutent le rôle et le statut de la calligraphie en Chine. Conclusion : la Chine n'est pas dans la "Galaxie Gutenberg", ce qui secoue, et peut-être compromet, la valeur explicative de cette notion "pour comprendre les médias".
Dans le cours du livre, on voit aussi se mettre en place la méconnaissance de la Chine par l'Europe : beaucoup de ce qui est dû à la Chine sera attribué à la Perse : on ne connaît que la dernière étape parcourue par une technique. Markovien !


Le livre sur l'imprimerie en Chine ancienne semble un parfait complément, involontaire, de l'ouvrage de Francis Carter. L'auteur parcourt une quarantaine de siècles, depuis les symboles sur les poteries jusqu'aux caractères mobiles d'imprierie. La longue introduction situe les étapes menant à l'imprimerie avec des frises historiques très claires. Ensuite, viennent les chapitres consacrés à chacune des étapes, parfaitement illustrés et légendés (en chinois et en anglais) avec des pièces du Printing Museum of China. Le dernier chapitre est consacré à la reliure des livres.



A parcourir ces deux ouvrages on est amené à se demander s'il est possible de distinguer les effets de l'imprimerie en Chine et en Europe. Un point commun se dégage, celui de la triple segmentation, régulière, linéaire dressant la perception et formant des habitus visuels : caractère / énoncé / livre. Triple articulation qui peut expliquer une culture de mécanisation, commune aux deux régions du monde. Reste la différence que structurent l'alphabet d'une part, les caractères chinois de l'autre.
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