dimanche 13 février 2011

Sur la couverture arrogante d'un livre sur la Chine

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Erik Izraelewicz, L'arrogance chinoise, 256 p. Paris, 2011, Grasset

Dans les librairies, on a pu voir ces jours-ci, sur les tables et en vitrine, un essai récent intitulé L'arrogance chinoise". Beau titre, belle couverture qui interpelle le chaland. La couverture d'un livre est acte de marketing et de communication, elle relève du packaging, et c'est de cela seulement dont il est question ici, pas du contenu de l'ouvrage.
  • Un titre s'adresse au public, destinataire qui, comme le note Gérard Genette ("Seuils", 1987), déborde largement le lectorat du livre. Genette retrouvait, pour qualifier le rôle du titre, la notion de circulation, bien connue des études d'audience presse, et celle, mise en avant par les réseaux sociaux, "d'objet de conversation" (notoriété). Un titre est exagération vendeuse, génératrice de notoriété ; Furetière, déjà (1666), disait qu'un "beau titre est le vrai proxénète d'un livre". Aussi, dans la plupart des cas, un auteur ne choisit ni la couverture ni le titre de son livre, décision sérieuse dont le soin revient au service marketing de l'éditeur.
  • Le nom de l'auteur, mentionné en couverture (cela n'a pas toujours été le cas), sauf exceptionnelle notoriété auprès d'un segment ciblable de public, ne joue qu'un rôle moindre dans les ventes, et l'éditeur encore moins. L'éditeur n'est qu'une marque B2B, l'auteur aussi parfois, pour les spécialistes.
  • Reste l'illustration. Que signifie le tigre en couverture ? Est-il chargé de connoter une Chine menaçante, un "péril jaune" ? Ou de rappeler ironiquement l'expression de Mao Zedong, souvent citée et imprudemment moquée, qualifiant les pays occidentaux de "tigre en papier" (紙老虎), la première fois en 1946 ?
Finalement, "Arrogance chinoise", étiquette jaune sur fond noir, sonne comme un slogan, une exhortation hostile. Arrogance, quelle arrogance ?
Un peu d'histoire, pourtant...

XIXème siècle.
La Chine colonisée à laquelle les occidentaux imposent l'opium (guerres de l'Opium), la Chine rançonnée, la Chine pilliée (sac du Palais d'été, 1860), la Chine traitée à la canonnière par l'armée de la République française, la Chine dépecée par les nations européennes (anglaise, allemande, française, italienne, autrichienne, belge, russe) et japonaise, chacune s'attribuant l'exploitation d'un morceau de Chine ("concessions") ou une région frontalière (Russie).

XXème siècle.
La Chine ruinée, occupée, mise à sac, où l'on peut afficher à l'entrée d'un jardin (Huang Pu) "interdit aux Chinois et aux chiens", Chine martyrisée par les troupes des envahisseurs japonais (les massacres de Nanjing). Chine humiliée : il faut attendre 1964 pour que la France du Général De Gaulle reconnaisse "la Chine de toujours", 1979 pour que les Etats-Unis fassent de même, 1997 pour que la Chine regagne sa souveraineté sur Hong Kong, annexé par la Grande-Bretagne en 1842, 1999 sur Macao colonisé par le Portugal... et un jour, sûrement, sur l'île de Taïwan qui fut colonie japonaise (1895-1945) avant d'être soumise à une dictature soutenue par les Etats-Unis.

Cessons l'énumération, on la trouvera plus complète dans les manuels des classes terminales.
Cette Chine libérée est redevenue un pays puissant, on dit qu'elle est "l'usine du monde", qu'elle travaille dur, à l'école comme à l'usine, et s'enrichit... Modèle connu ! Plutôt que d'arrogance, parlons de patience.

N.B. En contre-point de ce titre malheureux, qui sans doute trahit les intentions de l'auteur et le contenu du livre, mentionnons un ouvrage paru discrètement en 2003 aux éditions You Feng / Les Indes Savantes, intitulé "Victor Hugo et le sac du Palais d'été" par Nora Wang, Ye Xin et Wang Lou. Cet ouvrage, partiellement bilingue, français - chinois, prend prétexte d'une lettre du 25 novembre 1861 publiée dans la presse, où l'écrivain en exil, dénonçant le pillage du Palais d'Eté et l'arrogance des Européens, conclut : " J'espère qu'un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée". Un beau livre bien illustré qui donne à revisiter notre histoire coloniale, à lire Victor Hugo, et à penser la question de la restitution des oeuvres volées lors des guerres et qui peuplent nos musées...

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